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PORT-ROYAL.

sans mot d’ordre. Il y a de Tallemant au Père Rapin toute la différence de la curiosité médisante qui s’amuse, à la calomnie malicieuse qui combine et qui construit.

Et à ceux qui trouveraient la pièce trop longue, je répéterai encore une fois que ce n’est pas ma faute si je me suis vu forcé de la produire, mais qu’elle était devenue nécessaire. Quand on est accusé par des Jésuites anciens et modernes d’être des fripons (et c’était ici le cas pour Messieurs de Port-Royal), il est bon de prouver péremptoirement qu’on ne l’est pas. L’infamie de l’accusation, portant à faux, se retourne et va en plein à qui de droit[1].


SUR M. DE PONTIS.

(Se rapporte à la page 292.)


La question des Mémoires de Pontis a été reprise de nos jours avec une extrême vivacité par un jeune érudit, M. Philippe Tamizey de Larroque. Ayant eu à s’occuper du célèbre maire et défenseur de La Rochelle Jean Guiton[2], il a mis en doute ce qu’a dit de lui le sieur de Pontis, les actions et les paroles qu’il lui prête, et à cette occasion l’estimable écrivain, en ami déclaré qu’il est de la vérité his-

  1. Entre tous les auteurs de mémoires du temps, l’honnête, la judicieuse madame de Motteville, si éloignée de tout esprit de parti, a le mieux vu sur cette affaire de M. de Chavigny, et voici en quels termes elle en parle, faisant aussi sa part au prince de Condé, très-mechant cœur :
    « Dans ce même temps, M. le Prince tomba malade d’une fièvre continue. Sur la fin de sa maladie, Chavigny l’ayant été voir, ce Prince, sur quelques dégoûts qu’il avoit eus de sa conduite, s’aigrit contre lui et lui dit quelques paroles fâcheuses, dont Chavigny fut si touché que, revenant chez lui, il tomba malade et mourut de rage. M. le Prince, qui se portoit mieux alors, l’étant allé voir comme il étoit à l’extrémité, parut le regretter ; et une personne qui étoit présente à cette visite, m’a dit que les yeux lui rougirent, et qu’il voulut, par une manière de désespoir, s’arracher les cheveux ; mais, après l’avoir regardé, il dit en s’en allant et se moquant de son agonie, qu’il étoit laid en diable. — Ce ministre infidèle à son roi mourut consommé par l’ardeur de son ambition, et par les rudes effets de celle d’autrui. Il se repentit, à l’heure de sa mort, de s’être laissé emporter à la vanité de ses désirs ; et, pour satisfaire à la justice de Dieu, il laissa une grande somme de deniers aux pauvres, mais qui ne furent point donnés, parce que la prudence humaine et les intérêts de sa famille changèrent ses ordres. » Si au lieu de cette grosse aumône plus ou moins facultative, destinée aux pauvres, on entend plutôt diverses sommes qui étaient de restitution étroite et précise, on a là en peu de mots une exacte idée de cette affaire si pénible et de l’impression qu’elle doit laisser chez tous les bons esprits.
  2. Dans la Revue d’Aquitaine, août 1863.