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PORT-ROYAL.

conviction entêtée : en ce cas, qu’on me passe le mot : C’est bête !

J’aime mon sujet, je le révère, mais j’y habite depuis des années et j’ai eu le temps d’en faire le tour : j’en sais les côtés faibles et bornés, et, comme rien ne m’oblige à les dissimuler, je les dénonce. Ce que je tiens surtout à observer dans les principaux de ces caractères, c’est, à côté de la supériorité morale, celle de l’esprit, s’il se peut, la portée des vues. Très-peu d’hommes à Port-Royal et dans tout le Jansénisme ont eu cette portée de coup d’œil, et je les compte.

Trois en tout et pour tout : Saint-Cyran, Jansénius et Pascal. C’est la génération vraiment grande.

Arnauld avait l’esprit puissant, vigoureux, admirable à manœuvrer en champ clos, mais de toutes parts borné et barré en ses perspectives.

Nicole avait l’esprit fin, délié, d’une dialectique lucide et agréable, mais il ne démêlait bien les choses que de près.

Ce sont les deux plus actifs de la seconde génération, de laquelle Arnauld est proprement le père et l’oracle.

Quesnel, qui, à son tour, devint comme le père de la troisième génération, renchérit encore sur les inconvénients d’Arnauld en même temps qu’il participa de ses vertus morales.

Les Protestants, éclairés par l’intérêt de leur cause, se tuaient à dire à Quesnel et à Arnauld : « Vous avez beau faire, vous perdez vos forces à nous injurier, car vous êtes plus ou moins des nôtres. Relisez Saint-Cyran : il voulait réformer l’Église, il avait certains grands principes communs avec nous, il pensait que l’Église catholique romaine avait erré tout entière depuis plusieurs siècles quant au dogme et quant aux mœurs, et