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LIVRE TROISIÈME.

ment à admettre qu’une action n’est pas un péché lorsqu’elle est involontaire et sans intention formelle du mal, paraissent au lecteur d’aujourd’hui assez sensées, et plus sensées assurément que l’opinion contraire. Si Pascal avait persisté à toucher cette seule corde, il est douteux que les rieurs lui fussent restés aussi constamment fidèles, parmi ces générations qui ne se croient encore chrétiennes que parce qu’elles le sont à la façon du Vicaire savoyard. Il était temps qu’il entrât dans les questions de morale universelle.

Habileté à part, on conçoit très-bien d’ailleurs que Pascal n’ait pu se tenir, en lisant Escobar et les Casuistes ; qu’en face de cette morale d’accommodement, il se soit pris d’un saint zèle ; qu’il s’y soit attaqué uniquement dès lors et comme acharné. Le caractère principal et profond de Pascal, en effet, est surtout moral.

Si grand que soit Pascal par le génie, il y a mille choses vraies et grandes dans lesquelles, soit à cause de son temps, soit surtout à cause de sa nature (car il a bien su deviner ce qui était non pas selon son temps, mais selon sa nature), il n’entre pas et n’a pas l’idée d’entrer. Enumérons un peu : il ne sent pas la poésie, il la nie ; et la poésie est toute une partie essentielle de l’homme, même de l’homme religieux. Il étudie, il sonde et scrute la nature, il la contemple dans ses abîmes ; il ne la sent guère que pour s’en effrayer. Il n’y voit pas le symbole, le miroir vivant de l’Univers invisible (tanquam per speculum), une occasion de parabole perpétuelle, ce que saint François de Sales entendait si bien. « Si la foudre tomboit sur les lieux bas, dit Pascal, les poètes et ceux qui ne savent raisonner que sur les choses de cette nature manqueroient de preuves ; » et il ne voit pas assez qu’il y a autre chose que le raisonner, en pareille matière ; qu’il y a l’analogie sentie, l’harmonie devinée, Dieu en un mot (pour parler son langage),