Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
LIVRE TROISIÈME.

tendre… » J’y renvoie, mais à condition qu’on relira en effet : c’est l’instant même où Pascal se lève ; le léger appareil de scène est renversé ; il devient dès lors un réfutateur pressant, terrible, épée nue, un orateur.

Entre tant d’éloges que nous venons de donner aux Provinciales comme pièces d’art, éloges qui sont loin d’égaler encore ceux que leur ont décernés Perrault, Boileau et madame de Sévigné, il est une qualité ou plutôt un don que nous ne pouvons toutefois y reconnaître, non plus que dans rien de ce qu’a écrit Pascal. Le Pascal des Pensées saura unir la passion mélancolique, et presque byronienne, avec une sorte de fermeté et de précision géométrique qui imprimera une vigueur incomparable à son accent ; dans ses petites Lettres, il combine l’éloquence, la finesse, l’enjouement ; on parle à tout moment de Platon et de dialogue socratique à son sujet : la grâce pourtant, cette muse des Grecs, il l’a peu. Malebranche et surtout Fénelon, dans leur rigueur moindre et leur marche plus flottante, en eurent sans doute quelque chose ; cependant il faut avouer qu’en général les écrivains chrétiens, dans les matières théologiques ou métaphysiques, y reviennent malaisément. Entre tant de divinités charmantes et coupables que le Christianisme a détrônées et qu’il n’a pas toutes anéanties, il en est une qu’il a bien décidément immolée et qui tenait à l’âge premier du monde, à l’allégresse facile des esprits, c’est un certain éclat naturel et riant, c’est Aglaé, la plus jeune des Grâces[1].

  1. Aglaé signifie splendeur, « qu’il faut entendre, dit un vieil auteur, pour cette grâce d’entendement qui consiste au lustre de vérité et de vertu. »