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LIVRE TROISIÈME.

souvient[1], à l’époque de la Fréquente Communion. Leur savant Père Petau, s’étant avisé d’écrire en français contre le livre d’Arnauld, le fit d’une manière si inexpérimentée et si barbare, que les jeunes gens de l’Ordre en rougirent. Pareil affront se renouvela par la plume du Père Annat. Personne réellement dans la Société n’était en mesure. Si le Père Annat était trop rance, comme dirait Amyot, le Père Le Moine était trop éventé, trop quintessencié de style ; tous les deux d’avant Vaugelas. Quelques jeunes Religieux comprirent alors qu’il fallait décidément s’appliquer à l’étude de la langue maternelle, et Bouhours se mit en devoir de devenir du même train bel-esprit et grammairien.

En attendant ces beaux fruits, les Jésuites pensèrent, après le premier étourdissement de la défaite, à une plume du genre de celle de Bouhours, à celle même de Bussi-Rabutin. L’auteur de l’Histoire amoureuse des Gaules était à la Bastille par suite de ce méfait scandaleux (1665) ; il avait besoin, pour en sortir, de gens qui eussent de très-près l’oreille du Roi. Les Jésuites lui firent offrir leur crédit, s’il leur voulait prêter la délicatesse et le piquant de sa mise en œuvre. Le Père Nouet, confesseur du prisonnier, lui fit particulièrement entrevoir l’entremise du Révérend Père Confesseur du Roi (le Père Annat) en sa faveur. Il paraît que Bussi se prêta à l’ouverture, qu’on lui fournit des notes théologiques, des mémoires, et qu’il essaya d’aiguiser tout cela. Mais il eut le bon esprit d’y renoncer bientôt, et de juger l’entreprise impossible. Lui-même ensuite racontait sans façon l’anecdote à ses amis, de qui on l’a su[2]. Une Réfutation des Provinciales par

  1. Tome II, page 183.
  2. Le trait est consigné dans l’Apologie des Lettres Provinciales, par Dom Matthieu Petit-Didier, tome I, page 29. Ce qu’on lit dans les Mémoires de Bussi sur ses relations suivies avec le Père Nouet