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PORT-ROYAL.

et le portrait de la prude Orante :

L’exemple est admirable, et cette dame est bonne ! etc.

Est-il une plus magnifique largeur de discours en vers ? une plus franche et naturelle beauté ? À lire Molière, on a de ces saveurs à tout moment plein la bouche. Et pourtant cela n’a pas triomphé aussi absolument qu’on le croirait. Le style de Molière en vers n’a pas ( comme on disait alors) levé la paille autant, à beaucoup près, que celui de Pascal en prose. Sur ce point roule en grande partie l’inégalité, l’infériorité de notre poésie. Pascal est déjà d’un bout à l’autre dans le fin et le net de la langue ; tout Molière n’y a pas également passé. Il n’est pas classique en ce sens et sur cet article du style. Il y avait encore du Rotrou chez Molière ; il n’y avait plus de Mézeray chez Pascal. Celui-ci refaisait huit et dix fois ; Molière passait outre. Il se jetait à ses premières pensées comme plus naturelles ; mais ce naturel lui est contesté, du moins dans l’expression. L’accord contre lui semble vraiment étrange là-dessus[1].

La Bruyère dit : « Il n’a manqué à Molière que d’éviter le jargon et le barbarisme et d’écrire purement ; » et, dans son regret, il souhaite à MoHère le style de Térence, de même qu’il voudrait à Térence le feu de Molière.

Fénelon (Lettre sur l’Éloquence), après un sincère éloge du fond et en confessant volontiers que Molière est grand, ajoute : « En pensant bien, il parle souvent

  1. Des ouvrages considérables ont été faits dans ces derniers temps sur le style et la langue de Molière. Je ne crois pourtant pas devoir supprimer ces réflexions qui me sont propres, qui ont trouvé place dans mon Cours de Lausanne (1837-1838), et qui entrent dans l’économie première de mon livre. Je ne fais d’ailleurs qu’y reprendre et y développer des idées émises par moi-même dans un ancien travail sur Molière (Portraits littéraires).