Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
313
LIVRE TROISIÈME.

de sa force, en possession de tout son génie d’écrivain. L’entretien qu’il eut avec quelques amis sur le plan de son ouvrage, et qui est rapporté en substance dans les Préfaces des Pensées[1], avait eu lieu dix ou douze ans avant la date de la publication, c’est-à-dire entre les années 1657-1659. L’année durant laquelle il s’en occupa avec le plus de suite et d’application fut la trente-cinquième de son âge, depuis le printemps de 1657, où il termina les Provinciales, jusqu’au printemps de 1658, où il fut repris des maux nerveux qui ne le quittèrent plus. À peine libre de sa polémique contre les Révérends Pères et contre leur confrère Annat, excité et enflammé comme tout grand esprit le lendemain d’une victoire, au plus fort de son énergie déployée et de l’impulsion acquise, Pascal, à ses moments perdus, put bien donner un coup de main aux honnêtes Curés de Paris pour leurs Factums ; mais un tel soin n’avait pas de quoi l’absorber, et c’est en cette année qu’il mûrit le plan et qu’il écrivit les morceaux les plus développés, les plus considérables, de son livre. À partir de cette époque, on nous dit que sa santé s’altéra si profondément et que ses maux redoublèrent au point qu’il ne put en tout travailler un instant à ce grand ouvrage : il faut entendre travailler d’une manière suivie ; car la plupart des petites notes presque illisibles qu’on a recueillies, et qui sont la pensée prise sur le fait ou du moins marquée au passage, furent griffonnées dans ces quatre dernières années ; et il ne les jeta sur le papier, de peur d’oubli, que parce que, dans son état de langueur, il ne se sentait plus capable de s’y appliquer assez fortement pour se les imprimer

  1. Dans les deux Préfaces, dont l’une, officielle, est d’Étienne Périer, neveu de Pascal ; l’autre, qui fut d’abord mise de côté, mais qu’on a imprimée depuis, est de M. Filleau de La Chaise. On y reviendra plus loin.