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PORT-ROYAL.

riante et commode de Montaigne, parce qu’il ne veut rien qu’une chambre mal tapissée, des ustensiles grossiers, les offices dès cinq heures du matin, et les jeûnes fréquents, et tout ce qui nous paraît l’action d’une vertu excessive ? en conséquence justement de ce train de vie, que fait Pascal à l’égard des pauvres ? D’autres excès encore assurément. Voyons toutefois : ces excès-là valent la peine qu’on les redise en détail. Il s’agit, dans le premier exemple, de pureté en même temps que de charité, deux vertus qui se lient de près, et qui s’appliquent doublement en face de Montaigne :

« Il lui arriva, nous dit madame Périer, qui insiste sur la délicatesse vigilante et les chastes soliicitudes de son frère, il lui arriva une rencontre, environ trois mois avant sa mort, qui en fut une preuve bien sensible, et qui fait voir en même temps la grandeur de sa charité : comme il revenoit un jour de la messe de Saint-Sulpice, il vint à lui une jeune fille d’environ quinze ans, fort belle, qui lui demandoit l’aumône ; il fut touché de voir cette personne exposée à un danger si évident ; il lui demanda qui elle étoit, et ce qui l’obligeoit à demander ainsi l’aumône : et ayant su qu’elle étoit de la campagne, et que son père étoit mort, et que, sa mère étant tombée malade, on l’avoit portée à l’Hôtel-Dieu ce jour-là même, il crut que Dieu la lui avoit envoyée aussitôt qu’elle avoit été dans le besoin ; de sorte que, dès l’heure même, il la mena au Séminaire, où il la mit entre les mains d’un bon prêtre, à qui il donna de l’argent, et le pria d’en prendre soin, et de la mettre en quelque condition où elle pût recevoir de la conduite à cause de sa jeunesse, et où elle fût en sûreté de sa personne. Et pour le soulager dans ce soin, il lui dit qu’il lui envoyeroit le lendemain une femme pour lui acheter des habits, et tout ce qui lui seroit nécessaire pour la mettre en état de pouvoir servir une maîtresse. Le lendemain il lui envoya une femme qui travailla si bien avec ce bon prêtre, qu’après l’avoir fait habiller ils la mirent dans une bonne condition. Et cet Ecclésiastique ayant demandé à cette femme le nom de celui qui faisoit cette charité, elle lui dit qu’elle n’avoit point charge de lui dire,