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PORT-ROYAL.

de l’état d’une âme qui n’a point d’amour pour toutes les choses de la terre, et qui est vivement touchée de celui de Dieu, savent assez que tous les maux du monde ne sont rien en comparaison de ce qu’elle endure quand on la veut obliger à faire quelque chose qu’elle juge contraire à la pureté de son amour, et que cela cause aux personnes les plus modérées des convulsions si violentes qu’elles pourroient passer pour de grands excès, si l’ardeur du zèle dont elles partent ne consumoit ce qu’il pourroit y avoir de défectueux. »

Un jour donc, le 22 juin, après avoir communié dans une grande amertume de cœur, tandis qu’elle adressait à Dieu son action de grâces, la Sœur de Sainte-Euphémie se sentit une forte pensée de se décharger par écrit de ses doutes, et elle se mit, pour plus de facilité, à laisser courir sa plume dans une longue lettre à la Sœur Angélique de Saint-Jean, alors sous-prieure au monastère de Paris ; la lettre était faite pour être lue de M. Arnauld, et elle lui fut d’abord envoyée. La Sœur Euphémie n’ignorait point la part que son frère avait dans ce premier projet d’une Signature ainsi motivée et interprétée ; elle savait qu’il ne s’y était entremis que par pur zèle, et, tout en le louant, cela l’enhardissait elle-même à produire plus librement ses pensées.

Voici les principaux traits de cette lettre, qui se rapprochent naturellement de quelques vigoureuses pensées sur le même sujet trouvées dans les papiers de Pascal[1] ; seulement ici, comme cela s’était déjà vu, la sœur devançait le frère et lui montrait le chemin :

« La plupart, écrivait-elle, (la plupart des religieuses des Champs) désireroient de tout leur cœur que le Mandement fût pire,… parce qu’au moins on le rejetteroit avec une entière liberté ; au lieu que plusieurs seront comme contraints de le recevoir, et qu’une fausse prudence et une véritable

  1. Voir précédemment dans ce volume, chapitre VIII, page 88.