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LIVRE TROISIÈME.

lâcheté le fera embrasser à plusieurs autres, comme un moyen favorable de mettre aussi bien leur personne que leur conscience en sûreté. Mais, pour moi, je suis persuadée que ni l’une ni l’autre n’y sera par ce moyen. Il n’y a que la Vérité qui délivre véritablement, et il est sans doute qu’elle ne délivre que ceux qui la mettent elle-même en liberté en la confessant…
« Je ne puis plus dissimuler la douleur qui me perce jusqu’au fond du cœur de voir que les seules personnes à qui Dieu a confié sa Vérité lui soient si infidèles, si je l’ose dire, que de n’avoir pas le courage de s’exposer à souffrir, quand ce devroit être la mort même, pour la confesser hautement.
« Je sais le respect qui est dû aux Puissances de l’Église ; je mourrois d’aussi bon cœur pour le conserver inviolable, comme je suis prête à mourir avec l’aide de Dieu pour la confession de ma Foi dans les affaires présentes ; mais je ne vois rien de plus aisé que d’allier l’un à l’autre. Qui nous empêche et qui empêche tous les Ecclésiastiques qui connoissent la vérité, lorsqu’on leur présente le Formulaire à signer, de répondre : Je sais le respect que je dois à MM. les Évêques, mais ma conscience ne me permet pas de signer qu’une chose est dans un livre où je ne l’ai pas vue ; et après cela attendre ce qui en arrivera ? Que craignons-nous ? le bannissement et la dispersion pour les Religieuses, la saisie du temporel, la prison et la mort, si vous le voulez : mais n’est-ce pas notre gloire, et ne doit-ce pas être notre joie ? Renonçons à l’Évangile ou suivons les maximes de l’Évangile, et estimons-nous heureux de souffrir quelque chose pour la justice.
« Mais peut-être on nous retranchera de l’Église ? Mais qui ne sait que personne n’en peut être retranché malgré soi, et que, l’esprit de Jésus-Christ étant le lien qui unit ses membres à lui et entre eux, nous pouvons bien être privés des marques, mais non jamais de l’effet de cette union, tant que nous conserverons la charité[1]… ? »

  1. Après cette définition très-chrétienne, et même très-catholique en un sens, mais assez peu romaine, de l’Église, faut-il s’étonner que le docteur en Sorbonne Chamillard, préposé par l’archevêque Péréfixe à la pacification du monastère, dans sa Réponse aux raisons des Religieuses de Port-Royal (1665), ait écrit : « M. l’abbé