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PORT-ROYAL.

le firent revenir, et lorsque tous ces Messieurs du dehors se furent retirés, comme il ne restait plus que les amis du cœur et la famille, les Périer, M. Domat et M. de Roannès, madame Périer demanda à Pascal ce qui lui avait causé cet accident : « Quand j’ai vu, répondit-il, toutes ces personnes-là que je regardois comme étant ceux à qui Dieu avoit fait connoître la Vérité, et qui devroient en être les défenseurs[1], quand je les ai vus s’ébranler et donner les mains à la chute, je vous avoue que j’ai été saisi d’une telle douleur que je n’ai pas pu la soutenir, et il a fallu y succomber. »

Étrange effet de la même cause sur le frère comme sur la sœur ! Laissons la question de détail, et si décriée, du Formulaire ; allons au fond, jugeons de l’esprit même, c’est-à-dire de cet amour sans bornes pour la vérité. Quelle grandeur morale ! et qu’ils sont heureux ceux qui peuvent souffrir à ce point pour l’intégrité de la conscience, jusqu’à défaillir, jusqu’à mourir ! Agonie sainte ! Conçoit-on rien de plus admirable que cette si vive, si délicate et si vulnérable tendresse pour la vérité, au cœur de si fermes et si invincibles intelligences ? La sœur en meurt, le frère en tombe à terre sans connaissance. Fontenelle, Goethe et M. de Talleyrand n’ont pas de ces syncopes-là.

Un homme de qui (aujourd’hui qu’il n’est plus !) on a droit de dire qu’il fut de la postérité et de la race de Pascal, M. Vinet, parlant de ces douleurs étouffées et contenues des hommes de Port-Royal, a remarqué que ce qu’il y a en eux de tendre et d’humain se décèle comme à regret, mais n’agit que plus fortement : « Des liens déchirés les font mourir ; ils ne pleurent qu’au de-

  1. Sans doute M, Singlin, M. de Saci surtout, étaient présents à cette conférence. Ce n’est qu’ainsi qu’on s’explique bien la douleur de Pascal, de voir de telles colonnes s’ébranler.