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LIVRE TROISIÈME.

espérances qu’elle nous donne : car voilà le point de vue de Pascal. Représentons-nous les habitants d’un superbe Palais, où la magnificence éclate de toutes parts, où l’abondance la plus diversifiée remplit tous les besoins et fournit à tous les plaisirs. On n’y fait que manger, boire, dormir, rire et chanter, du matin au soir. Les jours s’y passent en fêtes et en divertissements continuels. Rien ne manque, dites-vous, au bonheur de ces gens-là. Quelqu’un vous répond : Vous êtes dans l’erreur. Ces gens, dont le sort vous paroit digne d’envie, sont en effet très-malheureux. Je suis instruit de bonne part que le Palais qu’ils habitent est contreminé, qu’il doit sauter au premier jour, et les ensevelir tous sous ses ruines. Si cet homme vous dit vrai, vous devez convenir, ce me semble, que l’ignorance où sont les habitants de ce Palais du péril qui les menace, n’en détruit pas la réalité, ni n’empêche qu’ils ne soient véritablement dignes de compassion. Pour cesser de l’être, il faudroit qu’instruits du péril, ils eussent pris des justes mesures pour l’éviter. Telle est la condition naturelle de l’homme, telle est sa misère. La Religion, qui la lui découvre, lui en fournit en même temps le remède. En nous montrant le danger qui pend sur nos têtes, elle nous apprend les moyens de s’en garantir. Pauvres humains ! vous habitez un agréable séjour ; la nature y déploie toutes ses richesses ; l’art s’épuise pour en multiplier les commodités et les agréments. Mais hélas ! vous ne savez qui vous y a mis, combien vous y resterez, et ce que vous deviendrez quand on vous en tirera. N’y eût-il que cela seul, vous ne sauriez vous croire heureux, sans être des stupides ou des insensés. Mais si vous êtes sages, vous n’épargnerez aucun effort pour sortir de cette cruelle incertitude, vous chercherez avec ardeur une lumière qui la dissipe. »

J’ai cité cette page comme une excellente page de Port-Royal, du Port-Royal ordinaire ; elle pourrait être de Nicole ou de Mésenguy. Pourtant, tout juste qu’est le raisonnement en partant de certains principes, l’observation de Voltaire garde de sa force, de sa plausibilité. Il y a dans tout fait général et prolongé une puis-