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PORT-ROYAL.

leur main les hommes[1]. De Maistre, qui a intitulé un de ses chapitres : Analogie de Hobbes et de Jansénius, aurait pu l’intituler aussi bien : Analogie de Hobbes et de Pascal, et sans plus de justice ; car, pour accoster Hobbes et ses adhérents, le Chrétien ne se confond pas avec eux. En admettant à la rigueur le même fait accablant, il ne l’admet que pour l’homme déchu, et il n’en tire qu’une plus vive raison de pousser toujours à la délivrance. — Pourtant, en écoutant Pascal se donner carrière et appuyer avec tant d’insistance sur le manque de droit naturel, je me figure qu’Arnauld, un peu étonné, était près d’interrompre dans sa candeur, si le geste, l’accent souverain et l’éclair éblouissant de cette grande parole ne l’avaient contenu.

La supériorité et la fermeté de coup d’œil de Pascal ne se montrent jamais mieux peut-être que quand il aborde l’ordre social ; sa raison n’y mêle aucun genre d’abstraction. Il avait vu la Fronde, et l’avait considérée de près ; car il était dans son train d’homme du monde à cette époque. Il avait médité sur Cromwell. Ce que peut amener l’esprit d’examen une fois introduit aux choses de l’État et aux origines de la société, il l’avait compris par cette ouverture, et dans une portée qui allait fort au delà des horizons d’alors. Accoutumé à contempler les prodiges de l’imagination et de l’illusion humaine, il savait ce qu’un siècle seulement de durée peut ajouter de pompe et de révérence aux coutumes reçues ; il savait aussi ce que peut renverser d’antique, au sein de cette

  1. Le grand Frédéric dit un jour au métaphysicien Sulzer, qui lui parlait de la bonté de la nature humaine : « N’y croyez pas ; vous autres, messieurs les savants, vous ne pouvez la connaître : mais croyez-en un homme qui fait depuis une trentaine d’années le métier de roi, c’est une méchante race, à bien peu d’exceptions près ; il faut les contenir. » Napoléon écrivait, en 1806, à son frère Joseph : « Les hommes sont bas, rampants, soumis à la force seule. »