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LIVRE TROISIÈME.

salut, la Religion : celle-ci se lève enfin, et, sans se nommer encore, elle se déclare en esprit par ces paroles[1] :

« C’est en vain, ô hommes, que vous cherchez dans vous-mêmes le remède à vos misères. Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu’à connoître que ce n’est point dans vous-mêmes que vous trouverez ni la vérité ni le bien Les philosophes vous l’ont promis, et ils n’ont pu le faire. Ils ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est votre véritable état. Comment auroient-ils donné des remèdes à vos maux, puisqu’ils ne les ont pas seulement connus ? Vos maladies principales sont l’orgueil qui vous soustrait de Dieu, la concupiscence qui vous attache à la terre ; et ils n’ont fait autre chose qu’entretenir au moins l’une de ces maladies. S’ils vous ont donné Dieu pour objet, ce n’a été que pour exercer votre superbe ; ils vous ont fait penser que vous lui étiez semblables et conformes par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité de cette prétention vous ont jetés dans l’autre précipice, en vous faisant entendre que votre nature étoit pareille à celle des bêtes, et vous ont portés à chercher votre bien dans les concupiscences, qui sont le partage des animaux. — Ce n’est pas là le moyen de vous guérir de vos injustices, que ces sages n’ont point connues. Je puis seule vous faire entendre ce que vous êtes… » C’est la Religion qui parle en effet ; mais quelle religion ? L’homme, à cette voix dont l’accent le ranime, se remet donc à parcourir l’Univers, cherchant quelle religion est la vraie, comme il avait déjà fait pour les

  1. Dans l’édition nouvelle des Pensées, on lit au titre de ce morceau : À Port-Royal. Pour demain. Prosopopée. M. Faugère conjecture, non sans quelque vraisemblance, que ce morceau, et un ou deux autres encore qui portent la même indication en tête (à Port-Royal), pourraient bien avoir été écrits en vue de l’Entretien même que Pascal devait avoir sur son plan d’ouvrage, et où il se montra si éloquent. Comme Démosthène et comme les vrais maîtres de la parole, Pascal n’improvisait jamais mieux que quand il avait à l’avance quelques points écrits.