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LIVRE TROISIÈME.

royaumes, ne valent pas le moindre des Esprits ; car il connoît tout cela, et soi ; et les corps, rien.
« Tous les corps ensemble, et tous les Esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de Charité… »

« Toute l’honnêteté humaine, à le bien prendre, n’est qu’une fausse imitation de la Charité ; mais que la copie est misérable[1] ! »

Cet appel à l’unique Charité, comme chez l’Apôtre, revient à tout moment dans le discours et l’embrase : « L’unique objet de l’Écriture est la Charité… — La vérité hors de la Charité n’est pas Dieu, elle est une idole… » Ce sentiment se retrouve partout, sur tous les tons. C’est l’élancement, le débordement perpétuel, le flux et reflux infatigablement gémissant et palpitant de la pensée de Pascal, du moment qu’il a obtenu Jésus-Christ, et depuis que cet Ami divin lui crie du Calvaire : « Je pensois à toi dans mon agonie, j’ai versé telles gouttes de sang pour toi[2] ! »

Nous sommes arrivés. Pascal sans doute, s’il eût pu accomplir son œuvre, ne se fût pas arrêté là. Pour lui il y avait à suivre encore, 1° l’établissement de l’Église, sa constitution à partir de l’époque apostolique, la tradition en un mot ; 2° la doctrine morale et la pratique ; la vie intérieure du chrétien plus particulièrement exposée et dépeinte. Sur cette dernière partie, sa propre vie sup-

  1. Ceci encore est tiré de la Préface de M. de La Chaise, et à deux endroits différents. En resserrant ce qu’il délaye, on retrouve du vrai Pascal.
  2. « Pascal, quoique élevé chez les disciples de saint Paul, est surtout disciple de saint Jean. Son livre devait surtout s’adresser à ceux qui cherchent en gémissant, et pour lesquels le bonheur suprême consiste à reposer avec confiance leur tête sur le sein du Maître. Dissiper les ténèbres qui empêchent de voir Dieu, tel est son grand but. » (M. Goy, Revue de Théologie dirigée par M. Colani, décembre 1850.)