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LIVRE QUATRIÈME.

les effets terribles des jugements de Dieu, qui permettoit qu’il y eût tant d’inégalités entre ses enfants, et que, les uns volant comme des aigles vers le Ciel et le voulant ravir par leur sainte violence, les autres (quoique très-honnêtes gens selon le monde) se traînassent un peu plus sur la terre ! Car on ne peut avoir vu des frères, sortis d’un même sein, avoir des inclinations plus différentes ; et ces humbles défenseurs de la Grâce n’auroient-ils pas sujet de dire mille fois : Quis te discernit ? qui est-ce qui fait le discernement entre nous, mon Dieu, sinon vous-même ? »

C’est ce que devaient se répéter à chaque heure, dans leurs Écoles, ces maîtres, toujours attentifs au doigt de Dieu. L’Enfance, c’est le livre de la Grâce, ouvert à l’article de la Prédestination, au passage le plus obscur. — Mais ils ne s’endormaient pas pour cela, et ils agissaient chacun dans leur sillon, sous le mystère[1].

Un des maîtres de Port-Royal, Coustel, a laissé un livre intitulé : les Règles de l’Éducation des Enfants[2]. Quoique cet ouvrage n’ait paru que longtemps après la ruine des Petites Écoles, et qu’il ait été composé dans une vue plus générale, il exprime fidèlement l’esprit de l’institution primitive, dont ce digne maître resta jus-

  1. Il ne manque pas d’esprits qui sont scandalisés toutes les fois qu’ils trouvent ainsi exposée sans déguisement la doctrine de la Grâce. Ces mêmes esprits ont-ils jamais réfléchi à cette étrange fatalité qui nous marque d’un signe distinct et profond dès la naissance et dès l’enfance ? Ces esprits sont religieux, ou ils ne le sont pas : s’ils ne le sont pas, je conçois très-bien alors qu’ils se retranchent dans l’explication physiologique des races, des tempéraments. S’ils se croient religieux pourtant, à quelle doctrine recourront-ils, qui ne rentre dans celle de la Grâce ? Mais que dis-je ? la plupart des esprits ne sont ni religieux ni le contraire ; ils flottent dans l’entre-deux, ils reculent devant les conséquences : ils demeurent à mi-chemin de tout. On appelle cela le sens commun, c’est-à-dire l’illusion moyenne.
  2. En 2 vol. in-12, 1687, Paris, chez Étienne Michallet. — Il n’y a que cette édition, bien que les titres aient été plusieurs fois renouvelés comme pour des éditions différentes.