Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/506

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
496
PORT-ROYAL.

heure comme affranchis de la règle et du frein. Aux yeux de Saint-Cyran, l’enfant est déjà en abrégé tout l’homme, et il pensait, comme Bossuet, que c’est la force seule qui lui manque pour se déclarer. Mais quand l’enfant, plus entreprenant, décèle tous ses hardis instincts du sein de sa faiblesse, et que le sens moral, ou du moins cette pudeur ingénue qui ne doit faire défaut à aucun des actes de l’enfance, ne vient nulle part tempérer sa précoce audace, que sera-ce donc un jour ? Cet enfant qui, jouant avec son jeune frère, et voyant une pomme inégalement coupée en deux morceaux, saisit le plus gros en disant : Je le prends ; cet enfant est déjà l’ambitieux futur ; et du même accent, du même geste, dès qu’il verra le gros lot du pouvoir passer devant lui, il y mettra la main en disant : Je le prends ; et il le gardera jusqu’à s’y acharner. Ceci n’est pas une fable. — Sachons nous reporter au point de vue d’une prudence qui appartient à des temps et à des ordres d’idées bien différents de ce que nous voyons.

S’étonnera-t-on que M. de Saint-Cyran ne se réglât point uniquement sur les dispositions naturelles, pour les suivre ? Mais il eût été inconséquent à la doctrine de la Grâce, s’il les eût aveuglément suivies. M. de Saint-Cyran craignait l’émulation sans moralité, comme nous dirions. Il ne pouvait souffrir, comme dit Lancelot, que dans l’éducation des enfants on fît le capital des sciences et de l’étude, en négligeant l’esprit de piété. Il regardait cette façon d’agir qui dès lors avait cours dans l’enseignement public, comme une grande faute et envers l’Église et envers l’État. Une telle conduite, selon lui, surchargeait l’Épouse de Jésus-Christ de ministres qu’elle n’avait point appelés, et surchargeait aussi la République d’une infinité d’oisifs qui se croient au-dessus de tous depuis qu’ils savent un peu de latin, et qui penseraient être déshonorés s’ils ne désertaient