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LIVRE TROISIÈME.

En effet, Pascal se trouvant à Port-Royal des Champs avec Arnauld, Nicole déjà actif, mais encore obscur, et les autres amis desquels était M. Vitart à la suite de M. de Luines, on s’entretenait avec tristesse et indignation du coup qui se portait, et qui ne semblait plus pouvoir être paré. Les écrits apologétiques de M. Arnauld dans la forme géométrique ou non, en latin, adressés à la Sorbonne, n’atteignaient en rien le public, lequel, voyant tant d’appareil de l’autorité ecclésiastique et séculière, ne pouvait s’imaginer qu’il ne s’agissait pas en cette circonstance des plus grands fondements de la foi. On disait donc à M. Arnauld, et M. Vitart le premier : « Adressez-vous au public, il est temps, détrompez-le ; c’est devant lui qu’il faut plaider ; vos amis du dehors le désirent. Vous laisserez-vous condamner comme un enfant ? » Nous entendons d’ici la conversation, et M. Vitart insistait : « M. Perrault, le frère du docteur, que je voyais hier, me le disait encore… « Arnauld donc, se rendant aux instances, composa quelque projet d’écrit en ce sens, dont il fit lui-même, deux ou trois jours après, la lecture. Mais il était harassé de tout ce long combat, et sa main pesait deux fois plus de fatigue : l’écrit français s’en ressentait. Ces Messieurs, tout bien disposés qu’ils étaient, n’y donnant aucun applaudissement, Arnauld comprit leur silence, et, n’étant point jaloux de louanges, il leur dit : « Je vois bien que vous ne trouvez pas cet écrit bon pour son effet, et je crois que vous avez raison. » Et, se retournant tout d’un coup vers Pascal : « Mais vous qui êtes jeune (qui êtes un curieux, un bel-esprit), vous devriez faire quelque chose. » Ce qu’il fallait uniquement, c’était de répandre dans le public une espèce de factum net et court, où l’on fît voir que dans ces disputes il ne s’agissait de rien d’important et de sérieux, mais seulement d’une question de mots et d’une