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LIVRE QUATRIÈME.

obtint de lui qu’il les lui dictât à ses heures perdues. C’est ce qui a procuré la Grammaire générale.

Bon petit livre qui, à sa date, était excellent ; qui a ouvert une route où plusieurs sont allés plus loin sans le faire oublier, et qui n’est pas inutile encore à ceux qui le parcourent aujourd’hui.

Je ne dirai pas avec Rollin, amplifiant Arnauld outre mesure, qu’on y reconnaît le profond jugement et le génie sublime de ce grand homme. J’ai même osé contester à Voltaire la justesse de ce mot sur Arnauld, que personne n’était né avec un esprit plus philosophique. Arnauld, selon moi, n’était pas né avec un esprit philosophique, au sens où l’entend Voltaire ; il était plus fait, par nature pour éclaircir certaines questions données que pour éclairer hautement les hommes, comme tout libre génie le saura faire s’il en a reçu le don. La première marque du vrai philosophe est de s’affranchir de l’esprit de parti : Arnauld était loin de là. Mais il redevenait un esprit, surtout un talent philosophique, et du premier ordre, du moment qu’on le prenait dans un sujet tracé. Il le parcourait en tous sens jusqu’à la limite ; il le divisait, le distribuait, l’embrassait et l’épuisait, sans y rien laisser d’obscur : logicien, démonstrateur, classificateur par voie de raison, solide et puissant réfutateur, comme l’appelle Bossuet. Voilà au propre le génie d’Arnauld.

Tel il se montre dans sa Grammaire générale, forte tête, cherchant et trouvant une raison commune, une définition judicieuse et naturelle aux divers éléments de la parole, aux diverses parties du discours, indépendamment des langues particulières, auxquelles il applique ensuite ses principes.

Arnauld se place tout d’abord dans cette Grammaire au point de vue où Descartes se plaçait dans sa philosophie et sa physique. Il crée la grammaire, il la suppose