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PORT-ROYAL.

toujours comme exercice et comme habitude de se rendre compte, ne pouvait être que provisoire et bien courte comme résultat. On ignorait trop de langues, trop de familles entières de langues. On construisait avec une simple formule de pensée ce qui présente une quantité de formes et de diversités imprévues dans la nature. Quand on a vu sourdre du sol primitif d’autres langues que le grec et le latin ; quand l’Orient par delà l’hébreu s’est révélé, et graduellement est apparu comme versant de toute antiquité, sur ses pentes, les trois ou quatre grands fleuves primordiaux de la parole humaine ; quand les anciens idiomes celtiques en leurs fragments brisés se sont découverts, et qu’il s’est rencontré même des langues compliquées de peuplades barbares, on a reconnu que c’était à recommencer sur un autre plan : la méthode naturelle des langues a pu naître. Les Jacob Grimm, les Guillaume de Humboldt[1] en ont été les Jussieu. D’un certain mécanisme général tout rationnel, on est venu à la tradition, à la génération historique, à la vraie physiologie du langage, tandis que, d’Arnauld jusqu’à Volney, on avait trop accordé à l’abstraction pure.

De la Grammaire générale à la Logique, il n’y a qu’à tourner le feuillet. La Logique est de tous les livres de Port-Royal le plus célèbre, celui peut-être qui a le moins perdu aujourd’hui encore. L’occasion qui y donna naissance en indique déjà le caractère. On parlait devant le jeune duc de Chevreuse, fils du duc de Luines, de l’objet de ses études ; quelqu’un des assistants dit que, dans sa jeunesse, il avait trouvé un homme qui l’avait rendu en quinze jours capable de répondre sur une

  1. N’oublions encore ni Bopp, ni Eugène Burnouf. — Bopp, avec les années, apparaît de plus en plus et demeure désormais comme le grand organisateur.