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LIVRE QUATRIÈME.

mieux, une chrétienne indépendance. Si Louis XIV y obtient l’indispensable louange :

La Loi divine oblige d’honorer les Rois :
Louis XIV est Roi :
Donc la Loi divine, etc., etc. ;

c’est le simple cachet du temps, la date du livre. Mais ce qui vaut plus la peine d’être remarqué comme dérogeant aux habitudes régnantes, c’est que dans ce livre, composé d’abord pour l’instruction du jeune duc de Chevreuse, il y a nombre d’exemples et de réflexions directes propres à rabattre la vanité des Grands, et à leur donner une juste idée de leur condition. Ainsi ce passage sur la fausse estime qu’on fait d’eux, et sur la confusion qui s’établit dans l’esprit des autres, et surtout dans le leur, entre leur fortune et leur personne même :

« … Ils ne peuvent souffrir que ces gens qu’ils regardent avec mépris prétendent avoir autant de jugement et de raison qu’eux ; et c’est ce qui les. rend si impatients à la moindre contradiction qu’on leur fait[1]. — Tout cela vient encore de la même source, c’est-à-dire des fausses idées qu’ils ont de leur grandeur, de leur noblesse et de leurs richesses. Au lieu de les considérer comme des choses entièrement étrangères à leur être, qui n’empêchent pas qu’ils ne soient parfaitement égaux à tout le reste des hommes selon l’âme et selon le corps, et qui n’empêchent pas qu’ils n’ayent le jugement aussi foible et aussi capable de se tromper que celui de tous les autres, ils incorporent en quelque manière dans leur essence toutes ces qualités de grand, de noble, de riche, de Maître, de Seigneur, de Prince ; ils

  1. Si le prince de Condé lut cette Logique, ce qui est plus que probable, il put se reconnaître dans cet endroit comme en un miroir. Un jour que Boileau, pour l’avoir contredit, le vit tout courroucé : « Dorénavant, dit-il, je serai de l’avis de M. le Prince quand il aura tort. »