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LIVRE QUATRIÈME.

ment son chemin dans l’Église ; ayant résigné son canonicat de Notre-Dame, à la restauration de Charles II, il devint grand-aumônier de la reine d’Angleterre, infante de Portugal. Il fut de la Cour et des grandes affaires ; les souvenirs de l’ancienne vie du Cloître durent s’effacer un peu. Il mourut en 1665, au moment, dit-on, où il recevait de Rome le chapeau de cardinal, et quelques heures avant l’arrivée du courrier : dans tous les cas il paraît bien qu’il était désigné pour la promotion prochaine[1]. Mais je viens d’en parler comme d’un infidèle, dira-t-on ; — c’est qu’il l’était de toute manière, bien que prélat et futur cardinal. Ami intime de Saint-Évremond, nous apprenons chez celui-ci seulement à le bien connaître. Et d’abord personne ne l’égalait pour le charme du commerce et les agréments de la vie :

« Pour la conversation des hommes, dit Saint-Évremond[2], j’avoue que j’y ai été autrefois plus difficile que je ne suis ; et je pense y avoir moins perdu du côté de la délicatesse, que je n’ai gagné du côté de la raison. Je cherchois alors des personnes qui me plussent en toutes choses : je cherche aujourd’hui dans les personnes quelque chose qui me plaise. C’est une rareté trop grande que la conversation d’un homme en qui vous trouviez un agrément universel ; et le bon sens ne souffre pas une recherche curieuse de ce qu’on ne rencontre presque jamais… Ce n’est pas, à dire vrai, qu’il soit impossible de trouver des sujets si précieux ; mais il est rare que la Nature les forme, et que la Fortune nous en favorise. Mon bonheur m’en a fait connoître en France, et m’en avait donné un, aux pays étrangers, qui fai-

  1. On le fait mourir à 46 ans, ce qui s’accorde mal avec les dates possibles de cette éducation à Port-Royal, laquelle pourtant est bien avérée. Adry conjecture qu’il faut lire 36 ans. — On aura dans le tome quatrième, à propos de l’exil de M. de Bernières, quelques extraits de lettres de M. d’Aubigny.
  2. Dans sa « Réponse à M. le Maréchal de Créqui, qui m’avait demandé en quelle situation étoit mon esprit, et ce que je pensois sur toutes choses dans ma vieillesse. »