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APPENDICE.

plus que d’autres : Saint-Amour, qui avait tant voyagé de Paris à Rome, de Rome en Suisse et en Hollande, n’approuvait pas Arnauld de s’acharner si fort à combattre les Protestants et à marquer la séparation. Le Père Des Mares lui-même disait quelquefois, parlant des Calvinistes : « Nous leur avons laissé l’Écriture sainte, et nous n’avons pris pour nous que la scolastique et des raisons tout humaines. » Je lis dans les Mémoires de M. Feydeau que madame d’Aumale de Ventadour, après qu’elle se fut convertie et affermie dans la foi catholique, lui avouait en confiance qu’elle déplorait que nos prédicateurs ne prêchassent point l’Écriture comme faisaient les ministres, et qu’elle ne savait qui aller entendre. M. Feydeau était de ce sentiment. Les Jésuites répondaient, et cette fois assez spirituellement, quand on leur demandait ce qu’ils entendaient par ce terme de janséniste : « Un janséniste est un calviniste disant la messe. » À la distance où nous sommes de ces disputes, cette définition nous scandalise peu. Que d’autres aient encore là-dessus des colères : pour moi, je comprends très-bien qu’en sortant de Rome, les députés augustiniens se soient d’autant mieux accommodés des ministres réformés et qu’ils se soient dit : « Au moins, voilà des chrétiens[1]. »


SUR M. DE LAUNOI.


(Se rapporte à la page 36.)


Le docteur de Launoi, par ses hardiesses, frisait de près l’hérésie. Les orthodoxes ne le supportaient que tout juste. Je lis dans

  1. Ceux qui sont curieux, et d’une curiosité sérieuse, peuvent lire dans le Journal de Saint-Amour une très-bonne page (p. 563) sur la visite qu’il fit à Bâle au célèbre auteur et professeur en langue hébraïque, Buxtorf. Ce savant homme, lui parlant de ce qui sépare et de ce qui pourrait réunir les différentes communions, indiquait la doctrine de la Grâce, si elle était une fois bien établie, comme le terrain commun d’une réconciliation possible ; les autres points, si importants qu’ils soient, sont, relativement, secondaires. Et c’est bien pour cela que les catholiques exclusivement romains ont tant d’horreur de cette doctrine de la Grâce et que, toutes les fois qu’elle se remontre à nu, ils font tout pour l’extirper. À l’heure qu’il est elle n’a plus d’asile dans le catholicisme tout jésuitisé et sophistiqué à la Liguori. Les vrais chrétiens sont en dehors.