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APPENDICE.

soient une occupation peu honorable devant les hommes et horrible devant Dieu ? Faut-il, parce que Des Maretz a fait autrefois un roman et des comédies, que vous preniez en aversion tous ceux qui se sont mêlés d’en faire ? Vous avez assez d’ennemis : pourquoi en chercher de nouveaux ? Oh ! que le Provincial étoit bien plus sage que vous ! Voyez comme « il flatte l’Académie, dans le temps même qu’il persécute la Sorbonne. Il n’a pas voulu se mettre tout le monde sur les bras ; il a ménagé les faiseurs de romans, il s’est fait violence pour les louer… »
« Comment Pascal a-t-il loué les faiseurs de romans, et en quel endroit ? On ne le voit pas d’abord, mais il est dit tout à côté qu’il flatte aussi l’Académie, et cela semble déjà indiquer que c’est dans le même endroit qu’il use, à l’égard des romanciers comme à l’égard de l’Académie, du même artifice.
« Un peu plus loin, dans cette Lettre si pleine de malice. Racine raconte la jolie anecdote du volume de la Clélie qu’on envoya à Port-Royal, à cause de l’endroit où il était question du saint Désert et de M. d’Andilly le patriarche : « L’on fit venir au Désert le volume qui parloit de vous ; il y courut de main en main, et tous les solitaires voulurent voir l’endroit où ils étoient traités d’illustres. Ne lui a-t-on pas même rendu[1] (à mademoiselle de Scudéry) ses louanges dans l’une des Provinciales, et n’est-ce pas elle que l’auteur entend, lorsqu’il parle d'une personne qu’il admire sans la connoitre ? »
« Ceci achève de nous fixer et il devient évident que c’est à mademoiselle de Scudéry que s’applique (sauf une légère différence dans les termes) le passage cité plus haut, dans lequel il est dit : « Contentez-vous de l’honorer sans la connoîre. » Par conséquent, le billet cité est d’elle, et, maintenant que nous le savons, il nous est facile, en effet, d’y reconnaître sa manière spirituelle et son agrément apprêté.

« Je vous suis plus obligée que vous ne pouvez vous l’imaginer, écrivait donc mademoiselle de Scudéry à une dame qui lui avait fait lire la première Provinciale, de la Lettre que vous m’avez envoyée : elle est tout à fait ingénieuse et tout à fait bien écrite ; elle narre sans narrer, elle éclaircit les affaires du monde les plus embrouillées, elle raille finement ; elle instruit même ceux qui ne savent pas bien les choses, elle redouble le plaisir de ceux qui les entendent ; elle est encore une excellente apologie, et, si l’on veut, une délicate et innocente censure : et il y a enfin tant d’art, tant d’esprit, et tant de jugement en cette Lettre que je voudrois bien savoir qui l’a faite, etc. »

« Quand elle louait ainsi les Provinciales, mademoiselle de Scudéry ne se doutait pas que le goût sévère et fin dont elles étaient le premier modèle allait avoir pour effet de la vieillir elle-même et de la suranner elle et ses œuvres, de vingt-cinq ans en un jour.
« Si le second billet cité dans cette Réponse du Provincial est de made-

  1. À prendre les choses au pied de la lettre, il y aurait ici une légère confusion de dates : les louanges du tome VI de la Clélie ne vinrent que deux ans après la troisième Provinciale ; mais des deux parts ce ne fut toujours qu’un échange d’éloges, un prêté-rendu, et c’est ce qu’a voulu dire Racine, qui avait cette idée de prêté-rendu dans l’esprit, mais qui, écrivant plusieurs années après ces légers faits accomplis, a pu en intervertir l’ordre et se tromper sur un accessoire, sans que cela intéresse le principal.