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APPENDICE.

qui l’intéressait et recevoir des réponses ; il a su les secrets dont il a plus tard abusé : et notez qu’il n’a pas été contredit ni démenti sur cet endroit délicat de sa Lettre, dans lequel il dénonçait chez ses anciens maîtres une contradiction piquante.

Au reste, il y a si peu de critique en France dans ce temps-ci, je veux parler d’une critique éclairée et au fait de es qu’elle prétend juger, que la petite brochure de l’abbé Flottes, envoyée par lui avec empressement aux divers Journaux de Paris, lui a valu des adhésions à peu près sans réserve. Comme il a mis ses arguments en forme, et qu’il a conclu en forme : Donc, donc, etc., on l’a cru sur parole, et l’on a dit d’après lui : « M. l’abbé Flottes a démontré que, etc., » sans distinguer ni même soupçonner le point principal, le point unique de la question, qui est tout entier dans le degré de confiance que mérite l’assertion ou l’insinuation de Racine[1].

Que si l’on me demande, après cela, pourquoi j’ai réservé cette explication pour un Appendice et ne l’ai point introduite dans le texte même à la place de la première supposition que j’avais adoptée, je répondrai que c’est qu’elle n’a, à mes yeux, qu’une très-grande probabilité ; et comme il peut se faire que l’on retrouve d’un moment à l’autre le volume des Lettres manuscrites de Chapelain qui se rapportent à l’année 1656 (les autres volumes de cette Correspondance se sont en effet retrouvés récemment, et je les possède), on verra alors s’il y a une lettre de lui à M. d’Andilly ou à

  1. L’abbé Flottes, qui est mort depuis (le 25 décembre 1864) et dont on peut parler avec plus de liberté, était un homme d’étude plus qu’un homme d’esprit, un homme de piété aussi, d’une piété éclairée et qui admettait le raisonnement ; dont la messe toutefois, me dit-on, ne durait guère qu’un quart d’heure : il avait à Montpellier la réputation d’une messe courte ; il la disait tous les matins entre 9 et 10 heures à l’église Saint-Paul, et sa vitesse à la dire tenait plus à sa vivacité d’esprit qu’à l’envie de se dépêcher. Il avait eu, dès sa jeunesse, la vocation ecclésiastique et s’y était livré, quoique sa famille eût d’autres vues. Au demeurant, un de ces hommes de province remarquables et qui honorent leur cité ; une de ces têtes que l’on distingue et qui ont un caractère ; — un peu singulier d’ailleurs, mais singulier d’habitudes plus que d’humeur, dont toutes les journées se ressemblaient, et qui, ayant habité toute sa vie à Montpellier où il était né, n’avait jamais franchi l’enceinte de la ville, n’avait jamais vu la mer que du haut du Peyrou et des promenades, à la distance d’une ou deux lieues environ. Il a laissé à Montpellier un souvenir de bonté, d’honnêteté, et sa mémoire y est encore entourée d’un sentiment de vénération. Ayant professé la philosophie à la Faculté des Lettres pendant de longues années, il a légué à la Bibliothèque de la Ville ses livres formant eux-mêmes toute une bibliothèque, dans laquelle la philosophie et la théologie se donnent la main, et où quatre sujets, quatre branches surtout sont au complet, Pascal, Huet, saint Augustin et Port-Royal, les quatre principales occupations de sa vie.