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PORT-ROYAL.

pularité de la pièce. On dit ainsi improprement et usuellement les Lettres familières de Cicéron, le Festin de Pierre, la Joconde, l’Aminte. Les docteurs nommés ou atteints dans la Lettre, surtout le docteur Morel, le plus bouillant, entrèrent en colère ; M. le Chancelier, qui avait pris l’affaire sous son patronage, faillit suffoquer de cette seule première Lettre ; il en fut saigné, dit-on, jusqu’à sept fois[1]. Le jour de la Purification, 2 février, on arrêta Savreux, l’un des libraires et imprimeurs ordinaires de Port-Royal. Sur un ordre du Roi et du Chancelier, lui, sa femme, ses garçons de boutique, furent interrogés par le Lieutenant criminel Tardif (Tardieu ?) ; mais on ne trouva rien à mordre dans les réponses, et peu de chose dans les papiers[2]. Les deux

  1. Clémencet, Histoire littéraire (manuscrite) de Port-Royal, article Pascal.
  2. Quand je dis peu de chose, c’est relativement à la grosse affaire. Voici au reste le récit de Beaubrun : « Comme les deux premières Lettres Provinciales rendoient la censure ridicule et ruinoient tout le fruit que la Cour et les ennemis de M. Arnauld s’étoient proposé d’en retirer, on fit une recherche exacte pour découvrir qui en étoit l’auteur. On courut partout chez les imprimeurs, et comme M. Charles Savreux étoit connu pour très-lié à Messieurs de Port-Royal, on ne manqua pas de jeter les yeux sur lui, et sur quelques soupçons on l’arrêta. On saisit tout ce qu’on trouva chez lui ; on lui prit bien des choses, et entre autres un paquet sur lequel étoit écrit le nom de M. l’abbé de Pontchâteau, qui effectivement lui appartenoit, et dans lequel il se trouva une lettre de M. le Cardinal de Richelieu, son oncle. M. de Pontchâteau fut fort inquiet de cet accident… On apprit que deux docteurs, l’un desquels étoit le sieur Cornet, étoient allés chez le commissaire pour voir son procès-verbal et les livres qu’il avoit pris, qu’ils y retournèrent encore une autre fois, et que les Jésuites disoient partout qu’ils feroient manger à Savreux dans sa prison ce qu’il avoit gagné avec les Jansénistes (Savreux avait acquis, en effet, une fortune considérable par son travail et son industrie), M. Savreux ne fut point étourdi de ce coup ; il tint ferme et reçut cette disgrâce d’une manière très-chrétienne qui faisoit croire qu’il avoit eu moins ses intérêts en vue que l’amour de la Vérité et la crainte de Dieu, en s’exposant à rendre des services à Messieurs de Port-Royal. C’est ce qui