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LIVRE TROISIÈME.

s’étonner que de Maistre eût mis à côté du Menteur de Corneille ce qu’il appelle les Menteuses de Pascal[1].

Celui-ci, dans ses Lettres dix-septième et dix-huitième, plaide tout à fait le thème qui s’intitule en style d’école la séparabilité du droit et du fait : ainsi il proclame que les cinq Propositions sont bien et dûment condamnées par le Pape, alléguant que cette condamnation est reçue des prétendus Jansénistes avec toutes sortes de respects, et qu’on est prêt à la souscrire. Le seul point de dissidence et pour lequel les adversaires font tant de bruit, c’est de savoir si ces Propositions, que tout le monde condamne, sont ou ne sont pas mot à mot dans Jansénius : ce qui, suivant lui, devient une question de fait, non de droit ni de foi, une question indifférente sur laquelle on peut avoir tel ou tel avis, selon qu’on a lu ou qu’on n’a pas lu Jansénius, qu’on l’a lu en y trouvant les Propositions, ou en n’ayant pas le coup d’œil de les trouver ; une question enfin à propos de laquelle on peut être dans l’erreur, sans se croire le moins du monde hérétique ; car le Pape et l’Église qui sont juges de la foi, peuvent eux-mêmes se tromper sur le fait. « Dieu, établit-il en principe, conduit l’Église dans la détermination des points de la foi, par l’assistance de son esprit qui ne peut errer ; au lieu que, dans les choses de fait, il la laisse agir par les sens et par la raison, qui en sont naturellement les juges. »

Il couronne ce chef-d’œuvre d’argumentation périlleuse en se donnant le plaisir de citer nombre d’exemples de Papes qui se sont trompés sur des questions de fait, notamment le pape Zacharie excommuniant (ou menaçant d’excommunier) saint Virgile au sujet des antipodes, et récemment le décret de Rome proscrivant l’opinion de Galilée et le mouvement de la terre :

  1. Soirées de Saint-Pétersbourg, deuxième Entretien.