Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/157

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que, n’ayant pas revendiqué son indemnité d’écrivain, personne n’ait songé à la lui faire compter. Il eut pourtant, du milieu de l’oubli qu’il cultive, le pouvoir d’exciter çà et là quelques admirations vives, secrètes, isolées, dont plusieurs sont venues vibrer jusqu’à lui, mais dont le plus grand nombre, sans doute, ne se sont jamais révélées à leur auteur. Nodier, avons-nous dit, le connut et le comprit dès l’origine ; Ballanche, qui, parti d’une philosophie tout opposée, a tant de conformités morales avec lui, l’apprécie dignement. Il y a quelques années, une petite société philosophique, dont MM. Victor Cousin, J.-J. Ampère, A. Stapfer, Franck Carré, Sautelet, Bastide, faisaient partie, et qui, durant le silence public de l’éloquent professeur, se nourrissait de sérieuses discussions familières, en vit naître de très-passionnées au sujet d’Oberman, qui était tombé entre les mains de l’un des jeunes métaphysiciens : M. Cousin se montrait fort sévère contre. Oberman, en effet, quand on le lit à un certain âge et dans une certaine disposition d’âme, doit provoquer un enthousiasme du genre de celui que Young, Ossian et Werther inspirèrent en leur temps. Beaucoup d’hommes du Nord (car Oberman a un sentiment admirable de la nature, de celle du Nord en particulier) ont répondu avec transport à la lecture du livre de M. de Sénancour ; Oberman vit dans les Alpes, et la nature alpestre, comme l’a dit M. Ampère, est en relief ce qu’est la nature de Norvége en développement. L’auteur de cet article a rencontré pour la première fois les deux volumes d’Oberman à une époque où il