Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/178

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raît une preuve déterminante en morale, et que la convergence universelle des peuples vers certaines croyances ou pratiques lui paraît une objection victorieuse contre toute religion. Préoccupé du christianisme atrabilaire de Nicole, de Pascal et du xviiie siècle, qui range le très-petit nombre d’élus sur un pont étroit et dévoue le reste du monde à l’abîme du feu, il commet lui-même quelque chose d’analogue, sans y prendre garde ; il sépare le très-petit nombre de sages et de vérités, qu’il enferme dans l’arche de sa théosophie, délaissant l’humanité entière sur un océan d’erreurs, de rites bizarres et de vertiges : c’est moins cruel qu’une damnation, mais presque aussi contristant. M. de Sénancour n’a donc pas abordé la doctrine vraiment catholique, depuis quinze ans surtout remise en lumière, à savoir que le christianisme n’est que la rectitude de toutes les croyances universelles, l’axe central qui fixe le sens de toutes les déviations[1]. Mais disons-

  1. Ceci se ressent du voisinage de l’abbé de La Mennais et de l’abbé Gerbet, dont les systèmes n’étaient pas sans exercer alors sur mon esprit une sensible influence. Ma jeune imagination, en ces années 1830-1834, caressa indifféremment bien des systèmes. J’avais le cœur malade, le cœur souffrant, en proie à la passion, et, pour me distraire ou m’étourdir, je jouais à tous les jeux de l’esprit. Je m’y portais ardemment, très-sincèrement sur l’heure, et sans arrière-pensée ni calcul ; mais c’était ainsi. On trouverait à un endroit de Volupté (chap. xi et xii) une image de la même disposition morale, avec transposition de noms selon les dates, lorsque Amaury, pour donner le change à la passion qui le possède, se livre à toutes les curiosités de l’esprit et se prend tour à tour et presque à la fois aux systèmes de La Marck, de Saint-Martin, etc.