Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/182

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jour pour publier, dès 1799, ses Rêveries sur la nature primitive de l’Homme. Élève de Jean-Jacques pour l’impulsion première et le style, comme madame de Staël et M. de Chateaubriand, mais, comme eux, élève original et transformé, quoique demeuré plus fidèle, l’auteur des Rêveries, alors qu’il composait Oberman, ignorait que des collatéraux si brillants, et si marqués par la gloire, lui fussent déjà suscités ; il n’avait lu ni l’Influence des Passions sur le Bonheur, ni René ; il suivait sa ligne intérieure ; il s’absorbait dans ses pensées d’amertume, de désappointement aride, de destinée manquée et brisée, de petitesse et de stupeur en présence de la nature infinie. Oberman creusait et exprimait tout cela ; l’auteur n’y retraçait aucunement sa biographie exacte, comme quelques-uns l’ont cru ; au contraire, il altérait à dessein les conditions extérieures, il transposait les scènes, il dépaysait autant que possible. Mais si Oberman ne répondait que vaguement à la biographie de l’auteur, il répondait en plein à sa psychologie, à sa disposition mélancolique et souffrante, à l’effort fatigué de ses facultés sans but, à son étreinte de l’impossible, à son ennui. Ce mot d’ennui, pris dans l’acception la plus générale et la plus philosophique, est le trait distinctif et le mal d’Oberman ; ç’a été en partie le mal du siècle, et Oberman se trouve ainsi l’un des livres les plus vrais de ce siècle, l’un des plus sincères témoignages, dans lequel bien des âmes peuvent se reconnaître.

Il y avait deux ou trois apparitions essentielles vers ce temps de 1800. Et d’abord, dans l’ordre de l’action,