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SÉNANCOUR.

depuis, apparut tout d’un coup au siècle en 1817, par son premier volume de l’Essai sur l’Indifférence ; les deux ou trois écrits qu’il avait publiés auparavant l’avaient laissé à peu près inconnu. Une grande confusion, à cette époque, couvrait l’état réel des doctrines ; l’émotion tumultueuse des partis pouvait donner le change sur le fond même de la société. M. de La Mennais ne s’y méprit pas : il pénétra plus avant, et, sous les haines politiques déchaînées, il vit indifférence religieuse dans la masse, indifférence dans le pouvoir, indifférence même dans toute cette portion considérable du clergé et du royalisme qui mettait le temporel en première ligne. Du milieu de cette immense langueur, de cette espèce d’atonie à nombreuses nuances, il séparait, en se l’exagérant, la faction philosophique issue du xviiie siècle, la Révolution antagoniste, selon lui, du Christianisme, et endoctrinant contre Dieu le peuple. En ceci, les suites l’ont bien prouvé, M. de La Mennais se trompait de plusieurs façons. Outre qu’il ne discernait pas alors le côté sensé, pur et légitime de l’opposition libérale, et lui faisait injure sur ce point, il lui faisait trop d’honneur sur un autre, en lui imputant une portée philosophique, une conception analogue à celle du dernier siècle ; chez elle encore, il aurait pu apercevoir justement, même à travers les quolibets antijésuitiques (malheureusement utiles) du plus populaire de ses journaux[1], une nuance un peu crue, parfois un peu sale, une variété épaisse et grossière de l’indifférence. Quoi

  1. Le Constitutionnel.