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SÉNANCOUR.

converti effervescent qui voulait faire du bruit ; les plus ingénieux et les plus subtils interprétaient son livre comme un retour fougueux après une jeunesse orageuse. Tel fut le premier effet. Mais lorsque, deux ans après, parut le tome second de l’Indifférence, et que l’auteur développa sa théorie de la certitude, puis les applications successives de cette théorie au paganisme, au mosaïsme et à l’Église, l’attention publique, détournée ailleurs, ne revint aucunement ; sur ce terrain il n’y eut plus guère que le clergé, les théologiens gallicans et les personnes faites aux controverses philosophiques, qui le suivirent. Encore la masse scolastique du clergé et la coterie intrigante, ce qui tenait à la Sorbonne défunte ou à l’antichambre, se mit à s’effrayer, et, par intérêt ou routine, mitigea singulièrement ses précédents éloges, s’acheminant peu à peu à les rétracter. M. de La Mennais, abandonné à mesure qu’il avançait, dut conquérir en apôtre, un à un, et dans les rangs jeunes et obscurs, ses véritables disciples. Il en rencontrait plus aisément peut-être, et de mieux préparés, hors de France, chez les autres nations catholiques, où les mêmes petites embûches n’existaient pas. Quant aux philosophes qui s’inquiétaient des théories nouvelles, M. de La Mennais ne réussit qu’avec peine à conduire leur orgueil cartésien au delà de son second volume ; ils se prêtèrent difficilement à rien entendre davantage : cette infaillible certitude, appuyée au témoignage universel, leur semblait une énormité trop inouïe. D’ailleurs le christianisme antérieur, qui s’en déduisait, renversait tous leurs préjugés sur le dogme