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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

Ton noble accueil enchante, orné de négligence.
Tu sais l’âge où tu vis et ses futurs accords ;
Ton œil plane ; ta voile, errant de bords en bords,
Glisse au cap de Circé, luit aux mers d’Artémise ;
Puis l’Orient t’appelle, et sa terre promise,
Et le Mont trois fois saint des divines rançons !
Et de là nous viendront tes dernières moissons,
Peinture, hymne, lumière immensément versée,
Comme un soleil couchant ou comme une Odyssée !…

Oh ! non, tout n’était pas dans l’éclat des cheveux,
Dans la grâce et l’essor d’un âge plus nerveux,
Dans la chaleur du sang qui s’enivre ou s’irrite !
Le Poëte y survit, si l’Âme le mérite ;
Le Génie au sommet n’entre pas au tombeau,
Et son soleil qui penche est encor le plus beau[1] !

Depuis les premières Méditations jusqu’aux Harmonies, Lamartine est allé se développant avec progrès, dérivant de plus en plus de l’élégie à l’hymne, au poëme pur, à la méditation véritable. Il y a bien de la grandeur dans son volume de 1820 ; il est merveilleusement composé sans le paraître ; le roman s’y glisse dans les intervalles de la religion ; l’Élégie éplorée y soupire près du Cantique déjà éblouissant. Le point central de ce double monde, à mi-chemin des Hauts-

  1. Les vœux que nous adressions pour le poëte durant son voyage n’ont guère été favorablement entendus. Une fois déjà, tandis que dans une précédente épître (Consolations) nous l’appelions heureux, la perte affreuse de sa mère nous venait à l’instant démentir ; et, en cette seconde circonstance, ç’a été un de ces malheurs qu’on ne peut même nommer (la mort de sa fille unique):
    Dans l’Orient désert quel devint son ennui !