Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/330

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pendue au rocher comme un nid, et offerte au soleil comme une corbeille. Jocelyn recommence naïvement Éden, sans rien de creusé ni de sauvage : heureuse simplicité retrouvée ! l’élévation libre et facile compense en lui la profondeur. Mais la nature ne suffit pas toujours ; l’ennui va venir à l’homme solitaire, et la langueur. Jocelyn, sans être prêtre, était déjà près de l’autel ; il ne pourrait désirer sans honte une Éve inconnue ; il s’est enfui un jour, tout effrayé de lui-même, pour avoir trop complaisamment regardé, à travers les châtaigniers, l’adorable sourire satisfait d’un jeune pâtre et de sa compagne ; mais il voudrait un cœur d’ami, un compagnon du moins de son exil et de cette félicité que ne troublent que par instants les orages et les crimes d’en bas. Ne vous étonnez pas de cette promptitude à la félicité : c’est ainsi qu’est faite naturellement la jeunesse.

Pourtant le compagnon désiré arrive : un jour que Jocelyn s’est hasardé hors de l’enceinte et par delà le périlleux sentier, il rencontre dans la montagne un proscrit, accompagné de son fils, que poursuivent deux soldats. Une lutte s’engage au bord du sentier ; les soldats y glissent, et roulent, broyés, dans l’abîme ; mais le proscrit blessé et mourant n’a que le temps de confier à Jocelyn Laurence. C’est le nom de l’enfant ; Laurence, nom douteux, enfant charmant, virgilien, qui tient d’Euryale et de Camille, qui a quinze ans : pene puella puer ! Jocelyn nous dit qu’en le regardant son œil hésite entre l’enfant et l’ange.

Au premier printemps, Laurence est devenu plus