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vieil évêque est dans les cachots de Grenoble, à la veille de l’échafaud, et qu’il réclame un de ses enfants. Jocelyn a découvert d’ailleurs que Laurence n’est qu’une jeune fille, que son père avait déguisée ainsi pour la commodité de la fuite, et que plus tard un confus sentiment de pudeur avait retenue. Il s’échappe donc une nuit, pendant le sommeil de Laurence, de la vallée périlleuse et troublée ; il accourt à Grenoble, il se glisse dans le cachot, et là, aux pieds du saint évêque qu’il trouve implorant tour à tour, menaçant et ordonnant, s’agite en lui la lutte pathétique dans laquelle il ne se relève que prêtre et à jamais consacré[1]. Jocelyn debout reçoit la confession de l’évêque, l’absout et le prépare ; mais lui-même, le devoir accompli, dans l’épuisement de son effort surnaturel, il retombe saisi d’une maladie qui le jette jusqu’aux portes de la mort. Quand ses idées lui reviennent distinctes, il se trouve dans un hospice, entouré de sœurs charitables ; Ther-

  1. Il a été fait par plusieurs critiques, et en particulier dans le Semeur du 23 mars 1836, des objections essentielles à la légitimité de cette conduite de l’évêque. Saint-Martin, en son temps, avait montré aussi, dans une remarquable critique de Zaïre, que Lusignan, Nérestan, avaient un christianisme plus formaliste que vif ; car, selon lui, le christianisme vif n’aurait point interdit le mariage entre Zaïre et Orosmane, saint Paul ayant dit que la femme fidèle justifierait le mari infidèle. Toutes ces objections sont fondées ; mais l’émotion du lecteur non dogmatique n’y regarde pas de si près et n’entre guère dans cette sphère de considérations. Voltaire l’a très-bien remarqué dans son commentaire sur Polyeucte (acte II, scène vi). Ce n’est pas à dire pourtant qu’il ne vaudrait pas mieux, par un art accompli, tout prévoir, tout concilier.