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rent point étrangers à l’âme de Racine. Dans un très-beau cantique sur la Charité, imité de saint Paul, il dit lui-même, en des termes assez semblables, et dont notre ami paraît s’être souvenu :

En vain, je parlerais le langage des Anges,
En vain,En vain, mon Dieu, de tes louanges
En vain,Je remplirois tout l’univers :
En vain,Sans amour ma gloire n’égale
En vain,Que la gloire de la cymbale,
En vain,Qui d’un vain bruit frappe les airs.

Si maintenant l’on m’objecte que cette théorie conjecturale serait admissible peut-être si Racine n’avait pas fait Athalie, mais qu’Athalie seule répond victorieusement à tout et révèle dans le poëte un génie essentiellement dramatique, je répliquerai à mon tour qu’en admirant beaucoup Athalie, je ne lui reconnais point tant de portée ; que la quantité d’élévation, d’énergie et de sublime qui s’y trouve ne me paraît pas du tout dépasser ce qu’il en faut pour réussir dans le haut lyrique, dans la grande poésie religieuse, dans l’hymne, et qu’à mon gré cette magnifique tragédie atteste seulement chez Racine des qualités fortes et puissantes qui couronnaient dignement sa tendresse habituelle.

L’examen un peu approfondi du style de Racine nous ramènera involontairement aux mêmes conclusions sur la nature et la vocation de son talent. Qu’est-ce, en effet, qu’un style dramatique ?  C’est quelque chose de simple, de familier, de vif, d’entrecoupé, qui se déploie et se brise, qui monte et redescend, qui change sans effort en passant d’un personnage à l’autre, et varie dans le même personnage selon les moments de la passion. On se rencontre, on cause, on plaisante ; puis l’ironie s’aiguise, puis la colère se gonfle, et voilà que le dialogue ressemble à la lutte étincelante de deux serpents entrelacés. Les gestes, les inflexions de voix et les sinuosités du discours sont en parfaite harmonie ; les hasards naturels, les