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brillamment du sein prophétique de la jeunesse et qui sont comme un programme idéal qu’on ne remplit jamais, — le plus calme, le plus lumineux esprit de cette élite écrivait en 1823[1] : « Une génération nouvelle s’élève qui a pris naissance au sein du scepticisme dans le temps où les deux partis avaient la parole. Elle a écouté et elle a compris… Et déjà ces enfants ont dépassé leurs pères et senti le vide de leurs doctrines. Une foi nouvelle s’est fait pressentir à eux : ils s’attachent à cette perspective ravissante avec enthousiasme, avec conviction, avec résolution… Supérieurs à tout ce qui les entoure, ils ne sauraient être dominés ni par le fanatisme renaissant, ni par l’égoïsme sans croyance qui couvre la société… Ils ont le sentiment de leur mission et l’intelligence de leur époque ; ils comprennent ce que leurs pères n’ont point compris, ce que leurs tyrans corrompus n’entendent pas ; ils savent ce que c’est qu’une révolution, et ils le savent parce qu’ils sont venus à propos. »

Dans le morceau (Comment les Dogmes finissent) dont nous pourrions citer bien d’autres passages, dans ce manifeste le plus explicite et le plus général assurément qui ait formulé les espérances de la jeune élite persécutée, M. Jouffroy envisageait le dogme religieux, ce semble, encore plus que le dogme politique ; il annonçait en termes expressifs la religion philosophique prochaine, et avec une ferveur d’accent qui ne s’est plus retrouvée que dans la tentative néo-chrétienne du saint-simonisme. Vers ce même temps de 1823, de mémorables travaux historiques, appliqués soit au Moyen-Age par M. Thierry, soit à l’époque moderne par M. Thiers, marquaient et justifiaient en plusieurs points ces prétentions de la génération nouvelle, qui visait à expliquer et à dominer le passé, et qui comptait faire l’avenir. Le Globe, fondé en 1824, vint

  1. L’article, écrit en 1823, n’a été publié qu’en 1825, dans le Globe.