Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/433

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Nous avons comparé plus d’une fois la muse d’André Chénier au portrait qu’il fait lui-même d’une de ses idylles, à cette jeune fille, chère à Palès, qui sait se parer avec un art souverain dans ses grâces naïves :

De Pange, c’est vers toi qu’à l’heure du réveil
Court cette jeune fille au teint frais et vermeil :
Va trouver mon ami, va, ma fille nouvelle,
Lui disais-je. Aussitôt, pour te paraître belle,
L’eau pure a ranimé son front, ses yeux brillants :
D’une étroite ceinture elle a pressé ses flancs,
Et des fleurs sur son sein, et des fleurs sur sa tête,
Et sa flûte à la main……

La muse de Millevoye est bergère aussi, mais sans cet art inné qui se met à tout, et par lequel la fille de Chénier, sous sa corbeille, s’égale aisément aux reines ou aux déesses. Elle, sensible bergère, pour emprunter à son poëte même des traits qui la peignent, elle est assez belle aux yeux de l’amant si, au sortir de la grotte bocagère où se sont oubliées les heures, elle rapporte

Un doux souvenir dans son âme,
Dans ses yeux une douce flamme,
Une feuille dans ses cheveux.

Le troisième livre d’Élégies de Millevoye se compose d’espèces de romances, auxquelles on en peut joindre quelques autres encadrées dans ses poëmes. J’avais lu la plupart de ces petits chants, j’avais lu ce Charlemagne, cet Alfred, où il en a inséré ; je trouvais l’ensemble élégant, monotone et pâli, et, n’y sentant que peu, je passais, quand un contemporain de la jeunesse de Millevoye et de la nôtre encore, qui me voyait indifférent, se mit à me chanter d’une voix émue, et l’œil humide, quelques-uns de ces refrains auxquels il rendit une vie d’enchantement ; et j’appris combien, un moment du moins, pour les sensibles et les amants d’alors, tout cela avait vécu, combien pour de jeunes cœurs, aujourd’hui éteints ou