Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après cela, malgré les grâces courantes, les longs rubans flexibles et les méandres de mots, les caractères, dans ce petit roman d’Adèle, laissent fortement à désirer. Adèle n’est pas une vraie femme de chambre, ce qu’il faudrait pour que la donnée eût toute sa hardiesse originale ; elle n’est qu’une demoiselle déclassée et méconnue. Maugis ne diffère en rien du pur traître des vieux romans de chevalerie ou de ceux de l’éternel mélodrame. La conduite de Gaston et des autres manque tout à fait d’une certaine faculté de justesse et de raisonnement qui n’est jamais tellement absente dans la vie. Ce ne sont que personnages qui croient, se détrompent, s’exaltent encore, ne vérifient rien, et se jettent par une fenêtre ou se cassent d’autre façon la tête, un peu comme dans les romans de l’abbé Prévost, mais d’un abbé Prévost piqué de Werther. Chez l’abbé Prévost ils s’évanouissaient simplement, ici ils se tuent.

Les Tristes, écrits dans des quarts d’heure de vie errante, ne sont qu’un recueil de différentes petites pièces (prose ou vers), originales ou imitées de l’allemand, de l’anglais, et qui sentent le lecteur familier d’Ossian et d’Young, le mélancolique glaneur dans tous les champs de la tombe. Toujours mêmes couleurs éparses, mêmes complaintes égarées, même affreuse catastrophe, L’inconnu, auteur supposé des Tristes, se tue d’un coup de lime au cœur, comme Charles Munster (le peintre de Saltzbourg) se noyait dans le Danube, comme Gaston dans Adéle se fait, je crois, sauter la tête. Ce qui a manqué à ces personnages infortunés de Nodier, si souvent reproduits par lui, ç’a été de se résumer à temps en un type unique, distinct, et qui prit rang à son tour, du droit de l’art, entre ces hautes figures de Werther, de René et de Manfred, illustre postérité d’Hamlet. Au lieu de cela, il n’a fait que fournir les plus intéressants et, sans comparaison, les plus regrettables dans cette suite de cadets trop pâlissants, qui ont tant fait couler de pleurs d’un jour, de d’Olban à Antony.

Plus tard, pour les figures de femmes, surtout de jeunes