Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

combien de points vifs devaient se toucher d’abord le jeune secrétaire et le vieux maître.

L’association ne dura pas aussi longtemps qu’on aurait pu croire. Après une année environ, l’amour de l’indépendance et la passion de l’histoire naturelle ramenèrent Nodier dans son village de Quintigny. Il s’était marié, il allait être père : de nouveaux projets commençaient. Pourtant les relations avec le chevalier portèrent leur fruit ; cette veine d’études philologiques aboutit en 1811 au livre ingénieux des Questions de Littérature légale. Il faut tout dire : le bon chevalier Croft, qui n’était pas tout à fait sir Grove, se montra un peu jaloux de son élève et du succès de cette brochure populaire, comme il la qualifia non sans quelque intention de dédain : sur deux ou trois points de textes comparés, il revendiqua même, à mots couverts, la priorité de la note. Nodier, en rendant compte dans les Débats de l’ouvrage où perçait cette petite aigreur, la releva avec une vivacité spirituelle et polie, mais assez aiguisée à son tour. A la mort du chevalier, il ne se ressouvint plus que de ses mérites dans un article nécrologique détaillé et touchant. J’ai souri toutefois en saisissant l’instant même où l’élève philologue s’est émancipé : comme dans toute émancipation, il y a eu un brin de révolte.

Ce livre des Questions de Littérature légale, fort augmenté depuis l’édition de 1812, et qui, sous son titre à la Bartole, contient une quantité de particularités et d’aménités littéraires des plus curieuses relativement au plagiat, à l’imitation, aux pastiches, etc., etc., est d’une lecture fort agréable, fort diverse, et représente à merveille le genre de mérite et de piquant qui recommande tout ce côté considérable des travaux de Nodier. Dans ses Onomatopées, dans sa Linguistique, dans ses Mélanges tirés d’une petite Bibliothèque, dans cette foule de petites dissertations fines, annexées comme des cachets précieux au Bulletin du Bibliophile[1], on le re-

  1. Chez Techener.