Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

téressés à en faire un bon usage, et que tous les autres mettent leur prétention civique à ne se mêler de rien… » Il observe avec beaucoup de finesse qu’on a tellement abusé des mots et perverti les idées, que la nation (à cette date de 1799) se croit anti-républicaine sans l’être ; il la compare toujours, dit-il, aux paysans de son département à qui on avait persuadé, jusqu’à ce qu’ils l’eussent entendu, qu’ils étaient aristocrates. Les remèdes qu’il proposerait sont modestes, de simples palliatifs, les seuls qu’il croie proportionnés, dit-il encore, à l’état présent de l’estomac national.

La spirituelle et bonne madame de Tessé a beau, comme d’habitude, le chicaner agréablement sur sa disposition à l’espoir ; qui ne le croirait guéri ? Il lui répond d’Utrecht, à propos des imbroglios d’intrigues croisées qui remplirent l’intervalle du 30 prairial au 18 brumaire : « Je suis persuadé que les anciens et les nouveaux jacobins combattent, comme dans les tournois, avec des armes ensorcelées ; et tout me confirme que les insurrections ne sont plus pour un régime libre, mais, au contraire, pour le plus bête et le plus absolu despotisme. Il ne me reste donc pour espérer qu’un je ne sais quoi dont vous n’aurez pas de peine à faire rien du tout. » Pourtant l’aimable cousine (comme il appelle sa tante) ne se tient pas pour convaincue, et, du fond de son Holstein, elle le moralise toujours. La Fayette est alors en Hollande ; on parle d’une invasion prussienne ; il la croit combinée avec la France et ne s’en inquiète ; elle, madame de Tessé, un peu peureuse comme madame de Sablé, avec laquelle, par l’esprit, elle a tant de rapports, lui écrit de ne pas compter sur ce sang-froid qui pourrait bien l’abuser en ses jugements. Dans le plus tendre petit billet, elle lui cite et lui applique cette pensée de Vauvenargues : « Nous prenons quelquefois pour le sang-froid une passion sérieuse et concentrée qui fixe toutes les pensées d’un esprit ardent et le rend insensible aux autres choses. » Madame de Tessé a-t-elle donc tout à fait tort ? La Fayette est-il complète-