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Restauration, on peut dire qu’il ne quitte plus son rôle actif jusqu’à sa mort. Un écrit assez considérable et inachevé[1] expose la situation publique et sa propre attitude en 1814 et 1815. En la faisant bien comprendre dans son ensemble, il reste un point auquel il réussit difficilement à nous accoutumer : c’est lorsqu’aux Cent-Jours, et Bonaparte arrivant sur Paris, La Fayette, qui s’est rendu à une conférence chez M. Lainé, propose de défendre la capitale contre le grand ennemi ; il se trouve seul de cet avis énergique avec M. de Chateaubriand. Mais M. de Chateaubriand, c’est tout simple, en proposant de mourir en armes, s’il le fallait, autour du trône des Bourbons, voyait pour l’idée monarchique, dans ce sang noblement versé, une semence glorieuse et féconde ; il motivait son opinion dans des termes approchants et avec cet éclat qu’on conçoit de sa bouche en ces heures émues. La Fayette, qui raconte ce détail et qui rappelle les chevaleresques paroles sur ce sang fidèle d’où la monarchie renaîtrait un jour, ne peut s’empêcher d’ajouter : « Constant (Benjamin Constant qui était de la conférence) se mit à rire du dédommagement qu’on m’offrait. » Et, en effet, la position de La Fayette en ce moment, au pied du trône des Bourbons, paraît bien fausse, surtout lorsqu’on a lu le jugement qu’il portait d’eux pendant 1814. Je ne dis pas que sa situation eût été plus vraie en se ralliant à Bonaparte ; pourtant je le concevrais mieux : il n’y aurait rien eu du moins qui prêtât à rire.

Carnot, je le sais, n’avait pas les mêmes engagements que La Fayette, ni les mêmes scrupules solennels de liberté ; mais en ces crises de 1814-1815, sa conduite envers Bonaparte répond bien mieux, en fait, et sans marchander, à l’instinct national et révolutionnaire.

Une remarque encore sur le factice, déjà signalé, qui s’introduit dans ces rôles individuels en politique. Si Benjamin Constant n’avait pas été là fort à propos pour éclater de rire

  1. Tome V.