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éprouvés, des temps où l’instinct de la lutte ne trompait pas. Quels souvenirs pour ceux qui les ont reçus dans leur fraîcheur, que ce voyage d’Amérique en 1824, et cet hymne de Béranger qui le célébrait !

Jours de triomphe, éclairez l’univers !
Mais les exposer seulement au grand air d’aujourd’hui, c’est presque les flétrir, ces souvenirs, tant le mouvement général est loin, tant les générations survenantes y deviennent de plus en plus étrangères par l’esprit, tant l’ironie des choses a été complète !

De sorte qu’en ce temps bizarre il faut s’arrêter devant le double inconvénient de parler aux uns d’un sujet par trop connu, et aux autres de sentiments parfaitement ignorés.

La seconde moitié du sixième et dernier volume est consacrée à la Révolution de Juillet et aux années qui suivent : indépendamment des actes publics et des discours de La Fayette, on y donne toute une partie de correspondance qui ne laisse aucun doute sur ses dernières pensées politiques ; les suppressions, commandées aux éditeurs par la discrétion et la convenance, n’en affaiblissent que peu sensiblement l’amertume. Cette dernière partie de la vie de La Fayette, si honorable toujours, est pourtant celle qu’il y aurait peut-être le plus lieu d’épiloguer politiquement, à quelque point de vue qu’on se place, soit du sein de l’ordre actuel, soit du dehors. C’est celle, à coup sûr, qui a le plus nui dans la vague impression publique, et en double sens contraire, à la mémoire de l’illustre citoyen, et qui a contribué à jeter sur l’ensemble de sa carrière une teinte générale où l’ancien attrait a pâli. Mais, ne voulant pas approfondir, il serait peu juste d’insister. Assez d’autres prendront les Mémoires uniquement par cette queue désagréable. Le plus grand malheur du général a été de survivre (ne fût-ce que de quelques jours) à la grande Révolution qu’il représentait depuis quarante et un ans ; en ne tombant pas précisément avec elle, il a fait à son tour