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ments, soit inquiétude d’âme rêveuse et reprise de poésie, soit blessure de cœur, soit nécessité plus vulgaire, et, comme dit André Chénier :

Quand ma main imprudente a tari mon trésor,

il sentait le besoin de se dérober. Il se retirait à Poissy en hiver ; il se faisait ermite, et se vouait à l’étude entre son Tibulle et son Virgile. Mais cela durait peu. Les amis heureux le désiraient, le rappelaient. Un voyage en Suisse, vers 1787, auparavant un autre voyage de deux mois en Angleterre, ne tardaient point à le leur rendre. La prospérité pourtant ne venait pas. Si c’était la saison des plaisirs, c’était aussi celle des rudes épreuves :

Redis-moi du malheur les leçons trop amères,

a-t-il écrit plus tard parlant à sa muse secrète et en songeant à ce temps. Ainsi se passèrent pour lui, trop au hasard sans doute, les années faciles et fécondes. La Révolution le surprit, et dans l’Épître à M. de Boisjolin, en 1792, jetant un regard en arrière, à la veille de plus grands orages, il pouvait dire avec un regret senti :

Tu m’as trop imité : les plaisirs, la mollesse,
Dans un piége enchanteur ont surpris ta faiblesse.
La gloire en vain promet des honneurs éclatants :
Un souris de l’amour est plus doux à vingt ans ;
Mais à trente ans la gloire est plus douce peut-être.
Je l’éprouve aujourd’hui. J’ai trop vu disparaître
Dans quelques vains plaisirs aussitôt échappés
Des jours que le travail aurait mieux occupés.
Oh ! dans ces courts moments consacrés à l’étude,
Combien je chérissais ma docte solitude !…

C’est en cet intervalle de 1780 à 1792 qu’il convient d’examiner dans son premier jour Fontanes : il prend place alors ; sa vraie date est là. On a pour habitude, dans les jugements