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la consécration officielle d’un talent. Le critique insistait beaucoup, en louant M. de Fontanes, sur la marche imposante et soutenue de sa phrase poétique, et cet art de couper le vers sans le réduire à la prose, et de varier le rhythme sans le détruire, deux choses, dit-il, si différentes, et qu’aujourd’hui l’ignorance et le mauvais goût confondent si souvent. Il louait avant tout dans le traducteur, et recommandait avec raison aux jeunes écrivains l’ensemble et le tissu du style, qu’on sacrifiait dès lors à l’effet du détail ; il s’élevait à plusieurs reprises contre les métaphores accumulées et les figures nébuleuses : « Ce n’est pas, ajoutait-il, à M. de Fontanes que cet avis s’adresse, il en a trop rarement besoin ; mais les vérités communes ne peuvent pas être perdues aujourd’hui ; il faut bien les opposer aux nouvelles extravagances des nouvelles doctrines :

Un tronc jadis sauvage adopte sur sa tige
Des fruits dont sa vigueur hâle l’heureux prodige[1] ;

Hâter le prodige des fruits est une métaphore très-obscure. C’est peut-être la seule fois que l’auteur s’est rapproché du style à la mode, et Dieu me préserve de le lui passer ! » On cherche à qui peut avoir trait, en somme, cette véhémence de La Harpe ; ce n’est pas même à Delille, c’est tout au plus à quelques-uns de ses imitateurs, à je ne sais quoi d’énorme aux environs de Roucher ou de Dorat. A la distance où nous sommes, au degré d’hérésie où nous ont poussés le temps et l’usage, cela fuit[2].

Fontanes se tenait sans effort dans les mêmes principes

  1. Essai sur l’Homme, dans la première édition.
  2. Dans son assez bonne Épître au comte de Schowaloff qui est destinée à célébrer son abdication du Mercure et comme sa retraite à Salone, La Harpe, faisant une sortie contre le pittoresque à la mode, disait en des vers dont l’à-propos semble d’hier et nous va au cœur :

    Que dis-je ? en ses excès Le délire exalté
    Porta plus loin l’audace et la perversité :