Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/278

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mait encore d’un plus vif éclat[1]. Il ne pouvait s’empêcher pourtant de trouver, à travers son admiration, que, dans le potentat de génie, perçait toujours au fond le soldat qui trône, et il en revenait par comparaison dans son cœur à ses rêves de Louis XIV et du bon Henri, au souvenir de ces vieux rois qu’il disait formés d’un sang généreux et doux.

Ce que nous tâchons là de saisir et d’exprimer dans son mélange en pur esprit de vérité, ce que Napoléon tout le premier sentait et rendait si parfaitement lorsqu’il écrivait de Fontanes à M. de Bassano : « Il veut de la royauté, mais pas la nôtre : il aime Louis XIV et ne fait que consentir à nous, » la suite des vers qu’on possède aujourd’hui le dit et l’achève mieux que nous ne pourrions. Car le haut dignitaire de l’Empire ne cessa jamais d’être poëte, et comme ce berger à la cour, que la fable a chanté, et à qui il se compare, il eut toujours sa musette cachée pour confidente. Eh bien ! qu’on lise, qu’on se laisse faire ! l’explication, l’excuse naturelle naîtra. Dans ses vers, si les griefs exprimés contre

  1. L’Empereur, dans ces libres entretiens, aimait fort à parler littérature, théâtre, et il attaquait volontiers Fontanes sur ces points. Un jour qu’on vantait Talma dans un rôle : « Qu’en pense Fontanes ? dit l’Empereur ; il est pour les anciens, lui ! » – « Sire, repartit le spirituel contradicteur, Alexandre, Annibal et César ont été remplacés, mais Le Kain ne l’est pas. » Cette sévérité pour Talma est caractéristique ehez Fontanes, et tient à l’ensemble de ses jugements ; il ne voulait pas qu’on brisât trop le vers tragique, non plus que les allées des jardins. Il avait vu Le Kain dans sa première jeunesse, et en avait gardé une impression incomparable. Il convenait pourtant que, dans l’Oreste et l’œdipe de Voltaire, Talma était supérieur à Le Kain ; ce qui, de sa part, devenait le suprême aveu. Faut-il ajouter qu’il en voulait à Talma d’être l’objet de je ne sais quelle, phrase de madame de Staël, où elle disait qu’il avait dans les yeux l’apothéose du regard ? Et puis Talma s’est beaucoup varié sur les dernières années, et a grandi dans des rôles modernes. M. de Fontanes, qui s’en tenait aux anciens, s’irritait surtout qu’on en vînt à causer comme de la prose le beau vers racinien un peu chanté. – Souvent, dans ces conversations du soir, l’Empereur indiquait à Fontanes et développait à plaisir d’étonnants canevas de tragédies historiques ; le poëte en sortait tout rempli.