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dans ses Perses, y a pourvu : c’est lui qui a fait là, une fois pour toutes, l’épopée de Salamine.

Properce, s’adressant en son temps au poëte Ponticus, qui faisait une Thébaide et visait au laurier d’Homère, lui disait (liv. I, élég. vii) :

Cum tibi Cadmeae dicuntur, Pontice, Thebae
abcArmaque fraternae tristia militiae
Atque, ita sim felix, primo contendis Homero,
abcSint modo fata tuis mollia carminibus… ;

ce que je traduis ainsi : « O Ponticus ! qui seras, j’en réponds, un autre Homère, pour peu que les destins te laissent achever tes grands vers ! » Et Properce oppose, non sans malice, ses modestes élégies qui prennent les devants pour plus de sûreté, et gagnent les cœurs.

Par bonheur, ici, Fontanes est à la fois le Properce et le Ponticus. Bien qu’on n’ait pas retrouvé les quatre livres d’odes dont il parlait à un ami un an avant sa mort, il en a laissé une suffisante quantité de belles, de sévères, et surtout de charmantes. Il peut se consoler par ses petits vers, comme Properce, de l’épopée qu’il n’a pas plus achevée que Ponticus. Quatre ou cinq des sonnets de Pétrarque me font parfaitement oublier s’il a terminé ou non son Afrique.

Un jour donc que, sur sa terrasse de Courbevoie, Fontanes avait tenté vainement de se remettre au grand poëme, il se rabat à la muse d’Horace ; et, comme il n’est pas plus heureux cette seconde fois que la première, il se plaint doucement à un pêcheur qu’il voit revenir de sa poche, les mains vides aussi :

Pêcheur, qui des flots de la Seine
Vers Neuilly remontes le cours,
A ta poursuite toujours vaine
Les poissons échappent toujours.

Tu maudis l’espoir infidèle
Qui sur le fleuve t’a conduit,