Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restes du talent ; en récitant la Chute des Feuilles, elle songe au Jour des Morts, et elle marie les noms.

Millevoye n’eût jamais été pour personne un héritier présomptif bien vivace et bien dangereux : mais Lamartine naissant !… qu’en pensa Fontanes ? Il eut le temps, avant de mourir, de lire les premières Méditations : je doute qu’il se soit donné celui de les apprécier. Dénué de tout sentiment jaloux, il avait ses idées très-arrêtées en poésie française et très-négatives sur l’avenir. Il admettait la régénération par la prose de Chateaubriand, point par les vers : « Tous les vers sont faits, répétait-il souvent avec une sorte de dépit involontaire, tous les vers sont faits ! » c’est-à-dire il n’y a plus à en faire après Racine. Il s’était trop redit cela de bonne heure à lui-même dans sa modestie pour ne pas avoir quelque droit, en finissant, de le redire sur d’autres dans son impatience.

Mais nous avons anticipé. Les événements de 1813 remirent politiquement en évidence M. de Fontanes. Au Sénat où il siégeait depuis sa sortie du Corps législatif, il fut chargé, d’après le désir connu de l’Empereur, du rapport sur l’état des négociations entamées avec les puissances coalisées, et sur la rupture de ce qu’on appelle les Conférences de Châtillon. C’était la première fois que Napoléon consultait ou faisait semblant. Le rapport concluait, après examen des pièces, en invoquant la paix, en la déclarant possible et dans les intentions de l’Empereur, mais à la fois en faisant appel à un dernier élan militaire pour l’accélérer. Ceux qui avaient toujours présent le discours de 1808 au Corps législatif, ceux qui, en dernier lieu, partageaient les sentiments de résistance exprimés concurremment par M. Lainé, purent trouver ce langage faible : Bonaparte dut le trouver un peu froid et bien mêlé d’invocations à la paix : dans le temps, en général, il parut digne[1]. 1814 arriva avec ses désastres. M. de Fontanes

  1. On a, au reste, sur les circonstances de ce rapport, plus que