Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/339

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À ceux qui blâmaient ses douleurs :
Deux Ruisseaux confondaient leur onde,
Et sur un pré semé de fleurs
Coulaient dans une paix profonde.
Dès leur source, aux mêmes déserts
La même pente les rassemble,
Et leurs vœux sont d’aller ensemble
S’abîmer dans le sein des mers.
Faut-il que le destin barbare
S’oppose aux plus tendres amours ?
Ces Ruisseaux trouvent dans leur cours
Un roc affreux qui les sépare.
L’un d’eux, dans son triste abandon,
Se déchaînait contre sa rive,
Et tous les échos du vallon
Répondaient à sa voix plaintive.
Un passant lui dit brusquement :
Pourquoi sur cette molle arène
Ne pas murmurer doucement ?
Ton bruit m’importune et me gêne.
 – N’entends-tu pas, dit le Ruisseau,
A l’autre bord de ce coteau,
Gémir la moitié de moi-même ?
Poursuis ta route, ô voyageur !
Et demande aux Dieux que ton cœur
Ne perde jamais ce qu’il aime.

La protection du marquis de Chauvelin, homme de beaucoup d’esprit et poëte agréable lui-même, valut à Léonard un emploi diplomatique qui le retint pendant dix années environ (1773-1783), tantôt comme secrétaire de légation, tantôt même comme chargé d’affaires auprès du Prince-Évêque de Liége. Le pays était beau, les fonctions médiocrement assujettissantes ; il paraît les avoir remplies avec plus de conscience et d’assiduité que de goût. Je dois aux communications parfaitement obligeantes de M. Mignet, des renseignements plus précis sur cette époque un peu disparate de la vie de Léonard. Il eut l’honneur d’être trois fois chargé d’affaires durant l’absence de son ministre, M. Sabatier de Cabre ; la première depuis le