Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/379

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bien que ce fut avant le voyage et dans l’été qui précéda la signature de son traité de commerce. On sait que la glorieuse impératrice n’avait pas seulement des pensées hautes, et qu’elle conserva jusqu’au bout le don des caprices légers. Aimable, jeune, empressé de plaire, il était naturel que M. de Ségur traversât à un moment l’idée auguste et mille fois conquérante. Lorsqu’on le questionnait en souriant là-dessus, il répondait par un de ces récits qui ne font qu’effleurer. Il avait été invité par l’impératrice à l’une des résidences d’été, Czarskozélo ou toute autre, et divers indices, jusqu’au choix de l’appartement qu’on lui avait assigné, semblaient annoncer ce qu’avec les reines il est toujours un peu plus difficile de comprendre. Or M. de Ségur, chargé d’une mission délicate qui était en bonne voie, tenait apparemment à y réussir sans qu’on pût attribuer son succès à une habileté trop en dehors de la politique. Il avait de plus quelques autres raisons sans doute, comme on peut supposer qu’en suggère aisément la morale ou la jeunesse. Mais comment avertir à temps et avec convenance une fantaisie impérieuse qui d’ordinaire marchait assez droit à son but ? Comment conjurer sans offense cette bonne grâce imminente et son charme menaçant ? Chaque après-midi, à une certaine heure, dans les jardins, l’impératrice faisait sa promenade régulière : deux allées parallèles étaient séparées par une charmille ; elle arrivait d’ordinaire par l’une et revenait par l’autre. Un jour, à cette heure même de la promenade impériale, M. de Ségur imagina de se trouver dans la seconde des allées au moment du détour, et de ne pas s’y trouver seul, mais de se faire apercevoir, comme à l’improviste, prenant ou recevant une légère, une très-légère marque de familiarité d’une des jolies dames de la cour qu’il n’avait sans doute pas mise dans le secret. – Au dîner qui suivit, le front de Sémiramis apparut tout chargé de nuages et silencieux ; vers la fin, s’adressant au jeune ambassadeur, elle lui fit entendre que ses goûts brillants le rappelaient dans la capitale, et qu’il devait sup-